« Saisons du voyage » de Cédric Gras : Comment redécouvrir la Terre au XXIe siècle ?

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Texte : Aurélia Ringard (voir tous les articles d’Aurélia)

J’étais sur le point de boucler mon sac et je continuais à m’interroger. Je me demandais si j’avais été bien inspirée en décidant de repartir. Je me rassurais en me disant que je n’avais pris cet engagement qu’avec moi-même, et que si cela ne me plaisait pas, rien ne m’y retiendrait. Cela reste une chance d’être à ce point libre de toute contrainte.

Quelle raison me poussait de nouveau à quitter mon lieu de vie pour des sentiers que je ne connaissais pas ? Rien ne me venait vraiment à l’esprit. Je me suis souvenue d’une phrase lue, dans le roman de Cédric Gras « Saisons du voyage » paru chez Stock, l’année passée : « Le voyage manque de sens. On aimerait avoir plus de motifs d’être sur la route. Car ce qu’on aime avant tout, c’est précisément la route ».

Cédric Gras, sur les routes de la République de Sakha, ex-Iakoutie, dans le Far East russe. Aurélien Mas/SDP

Voilà.

Parfois, de récits entiers, on retient des extraits très précis, et régulièrement on y revient, ça nous rassure. Oui certains textes sonnent comme des rendez-vous. Des rendez-vous avec soi. Avec des réflexions, des souvenirs. Ces expériences jamais dévoilées qui nous ont fait grandir. Ces livres semblent déjà nous connaître et visent en plein cœur. La littérature, en vrai, ça sert à ça : poser les bons mots sur des événements, des questionnements, ces mots que nous n’aurions jamais trouvés.

On lit dans la presse que Cédric Gras est l’un de nos plus brillants écrivains-voyageurs. Et ce n’est pas volé. Alors comment faire pour vous en parler ?

Dans son dernier ouvrage, entre poésie et constatation, il interroge le voyage. Une question traverse tout son livre : l’aventure aujourd’hui est-elle encore possible ? Peut-on découvrir la Terre au 21ème siècle, et comment ? Arrivons-nous trop tard ? L’auteur relate ses divers périples, du Tibet à l’Albanie, du Pakistan à la Mongolie, et à travers toute l’Eurasie, continent immense qui le fascine tant et dont il a précédemment raconté la traversée dans « L’hiver aux trousses » (Stock).

Quand on voyage les premières fois, on se présente au monde avec tout ce qu’on est, on risque tout, pensant que l’on ne risque rien, il y a une urgence émouvante à s’échapper de la sorte du quotidien et de son possible ennui. Transfigurer ensuite ses échappées par l’écriture pour les révéler aux autres, exige de dépasser la simple expérience esthétique, pour explorer notre rapport à l’environnement, à l’époque, à l’autre, à la solitude aussi, à la liberté, à la force du langage.

Extrait de la couverture de « Saisons du voyage » de l’écrivain voyageur Cédric Gras (Stock, 2018)

Vous résumer les différents chapitres, je pourrais, mais ça ne vous dirait pas assez ce que j’ai ressenti. J’ai plutôt envie de vous dire « allez-y », « plongez ». Ces pages ne vous laisseront pas indifférents, parce que d’elles, transpirent l’honnêteté de l’auteur, sa recherche de la vérité, ainsi que son exigence dans le maniement des mots pour la décrire.

Il y a quelques jours, en rentrant essorée par des semaines de marche, je feuillette à nouveau et lis : « Revenir est en soi un voyage. De même qu’accéder à la plénitude de la route demande quelques jours, il faut clore posément les chapitres… » On se sent tout à coup moins seul dans notre « retour au bercail ». « Nous ne faisons jamais que jouer à larguer les amarres. »

Alors on se prend un verre, on parle de tout, de rien, de littérature et de rêves prochains, on joue au jeu du portait, Cédric, si tu permets qu’on se tutoie, si tu devais incarner un lieu géographique sur Terre, lequel serais-tu ?

  • Si j’étais une montagne : le Khan Tengri (Kirghizistan)
  • Si j’étais une plaine : la Sibérie (forcément)
  • Si j’étais une mer : l’océan glacial antarctique
  • Si j’étais une ville: Lhassa

Et :

  • Si j’étais une saison : l’automne
  • Si j’étais un moyen de transport : une pirogue !

***

A vous de lire maintenant et de voyager à votre tour, à votre guise, car même si le tourisme de masse et les nouvelles technologies viennent parfois ternir le tableau, j’en suis sûre, ça ne nous enlèvera pas l’envie, bien au contraire. On continuera d’errer là où les gens nous demandent « Mais que faites-vous là ? » persuadés qu’il n’y a pas grand-chose à photographier. On fera un pas de côté. Puisque partir, c’est recommencer. « On lira le monde, partout, quel que soit ce qu’il nous raconte, observer les yeux grands ouverts. Le regard : la vraie définition du voyage. »

Et on finira, un joli soir d’été comme celui-ci « dans une crique sans lumière », avec « la lumière de la mer », à se laisser « flotter dans l’apesanteur de l’eau », « sous une voûte scintillante et démesurée »

What else ?

Saisons du Voyage, Stock (2018). 224p.

A propos de Cédric Gras

Cédric Gras, né en 1982, a mené de front voyages au long cours, passion de la montagne et études de géographie, avant de s’expatrier une décennie dans l’espace post-soviétique, dirigeant notamment des Alliances françaises en Russie et en Ukraine (Vladivostock, Donetsk, Karkhov, Odessa). Il est également membre de la Société des explorateurs français. Il annonce travailler sur un livre consacré à deux grands alpinistes russes, Vitali et Evgueni Abalakov, qui paraitra en 2020.

Les précédents ouvrages de Cédric Gras

Vladivostok, neiges et moussons (Phébus, 2011)

Le Nord, c’est l’Est. Aux confins de la Fédération de Russie (Phébus, 2013)

Le Cœur et les Confins (Phébus, 2014)

L’Hiver aux trousses. Voyage en Russie d’Extrême-Orient (Stock, 2015)

Anthracite (Stock, 2016)

La Mer des Cosmonautes (Paulsen, 2017)

(Documentaire : « Oural – A la poursuite de l’automne » Arte.

Film de fiction à venir courant 2020 avec le réalisateur Luc Jacquet)

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