La panthère des neiges est l’un des animaux terrestre les plus difficiles à observer au monde. Un véritable challenge de naturaliste. En ce qui me concerne, il s’agit d’un rêve de plus de 15 ans toujours reporté à cause de sa difficulté. Jusqu’à ce que je rencontre Phunchok Tsering un guide natif du Ladakh. Il m’a en effet garanti qu’il pouvait me montrer cet animal très discret.
Sur le coup, je trouve Phunchok très sûr de lui, un peu trop peut-être… Comment garantir une rencontre avec celle qu’on surnomme « le fantôme des montagnes » ? Mais l’envie d’essayer combinée à cette attente de plusieurs années me pousse à tenter l’aventure.
C’est ainsi que je me retrouve quelques semaines plus tard dans une vallée reculée d’Himalaya, à 4000 mètres d’altitude, accompagné de mon guide. Je loge chez l’habitant dans un hameau de quelques maisons. Il n’y a pas d’eau courante, l’électricité est fournie grâce à des panneaux solaires ou un groupe électrogène. Les toilettes sont un simple trou dans lequel je dois jeter une pelletée de fumier de mule après avoir fait mes besoins pour créer du compost. Je ne comprends pas un mot de ce que disent mes hôtes mais leurs sourires permanents les rendent charmants. Nous sommes le 10 février 2020 et nous nous sommes donnés 18 jours exactement pour trouver le félin.
J’ai lu beaucoup d’articles sur la panthère des neiges avant de me décider de tenter l’aventure. Je me suis rendu compte qu’un certain nombre de personnes ne la rencontre pas malgré leurs recherches intensives. Un des photographes animaliers racontant son expérience termine même sa chronique en disant : « attendez-vous à être déçu tant cette quête est incertaine ».
Je suis partagé : une partie de moi (rationnelle) me dit que l’entreprise est difficile et que mes chances sont minces. Dans le même temps, mon intuition m’indique qu’en toute chose il y a un côté irrationnel et que quelque part une panthère m’attend. Je me trouve ici car c’est le bon moment, car l’univers a fait en sorte que les événements vont se produire.
Tous les jours, dès 06h30 du matin, je suis présent au point d’observation. Avec mon guide, nous scrutons les montagnes alentour à l’aide de notre longue vue. Celle-ci grossit jusqu’à 60 fois. Chaque rocher, chaque crevasse, chaque crête de montagne doit être vérifié. C’est long, fatiguant et souvent frustrant. Lorsque nous avons tout inspecté, il faut recommencer au cas où la panthère apparaît à ce moment précis. Un engagement total est indispensable pour ce genre d’investigation car c’est à cela que se résume nos journées.
Nous avons le temps de réfléchir tant les heures sont longues. Parfois je me demande si cette quête a un sens. Pourquoi m’est-il devenu si important de rencontrer la panthère des neiges ? Jusqu’où suis-je capable de m’investir pour provoquer ce rendez-vous ? J’ai l’impression d’être un flic obstiné qui cherche à tout prix à coincer un criminel. Ce dernier faisant tout son possible pour m’échapper. Obsédé par mon enquête, je ne sais même plus différencier ce qui est essentiel de ce qui est futile.
Voir la panthère des neiges, un caprice ? J’aurai ma réponse plus tard…
Heureusement, bien d’autres animaux hantent ces montagnes enneigées. Au point d’observation ou lors de randonnées je croise la route de bharals, d’urials, d’ibex, de lièvres laineux et de beaucoup d’oiseaux.
Je suis toujours stupéfait quand je vois ces petits volatiles avec leurs pattes ridiculement fines plantées dans la neige glaciale. Comment peuvent-ils survivre dans cet enfer, ne serait-ce qu’un seul jour ? Il ne se passe pas une matinée sans que le froid me fasse souffrir à la limite du supportable. Au lever du soleil, il fait souvent -20°C et c’est comme si mes doigts et mes orteils sont écrasés dans un étau malgré mes deux paires de gants et mes trois paires de chaussettes !
A quel moment de notre évolution avons-nous dérapé au point d’être si inadaptés à la vie sur terre alors que d’autres animaux semblent être ici à leurs aises ?
Une après-midi, première alerte ! Un félin a été aperçu par un autre guide. Ils communiquent entre eux par radio. Ainsi, les chances de débusquer un animal sont multipliées. Il s’agit d’un lynx qui traverse une montagne de l’autre côté de la vallée. Nous sommes sur place 10 minutes plus tard et pouvons admirer ce superbe prédateur. Perché sur ses hautes pattes, il se déplace lentement sur la glace à la recherche d’un lièvre à croquer. Grâce à ma longue vue, je distingue bien sa queue courte au bout noir et ses pinceaux sur les oreilles. Après 5 minutes, il disparaît derrière le col. Durant toute l’expédition, j’en verrai en tout 6 alors que je n’en avais jamais observé avant !
Chaque soir, quand je retourne dans mon couchage, je me dis que demain sera un grand jour. Une nuit, juste avant d’aller dormir, alors que je regarde la voie lactée depuis la terrasse de la maison, une énorme étoile filante déchire le ciel. Je lance mon souhait à l’univers. Demain, je serai debout à 06h30.
Je n’oublierai jamais cette première panthère observée dans ma longue vue. Un des guides présent au point d’observation l’a repéré de loin (environ 1,5 km de distance), elle se déplace lentement, fais de nombreuses pauses, regarde autour d’elle puis repart. Malgré le grossissement de 60 fois, elle parait minuscule, je distingue seulement sa silhouette grisâtre entre neige et rochers. Je la suis du regard pendant une bonne demi-heure. Je la vois même tenter une attaque sur un groupe de bharals. Mais ceux-ci l’ont repérée et s’enfuient. Elle reprend alors sa traversée, lentement. Malgré ses larges pattes, la croûte neigeuse s’affaisse parfois sous son poids. Soudain, elle s’évanouie parmi les rochers. Elle est redevenue invisible. Ce que je ressens est indescriptible, c’est différent de ce que j’ai pu éprouver en découvrant d’autres espèces. Peut-être parce qu’il y a peu encore, je pensais ne jamais pouvoir la rencontrer. Peut-être parce que je repense à l’étoile filante de la veille et prend conscience que l’univers a exhaussé ma demande.
Puis pendant les 2 jours suivants, je vais l’observer matin et soir ! Apparemment des individus différents à chaque fois. Quelle chance me dit Phunchok ! Malgré tout, une frustration persiste : toutes les observations ont été réalisées à une distance très lointaine, entre 1,5 et 2,5 km. Je ne veux pas seulement voir la panthère des neiges, je veux la rencontrer, c’est-à-dire croiser son regard, saisir son expression, la voir réfléchir.
Quand je discute avec d’autres personnes présentes, elles me disent toutes que voir ce félin de près est encore plus rare et que j’en demande probablement beaucoup. Un touriste me suggère même de me rendre dans un zoo pour ce genre de requête. Je comprends leurs points de vue mais rien à faire, j’en veux plus ! Après tout, comment atteindre les hautes sphères si on se contente du minimum ?
Puis, les jours suivants, plus rien. Malgré nos recherches, les heures passées au froid, nous ne voyons que quelques bharals et des oiseaux. Moi qui espérais plus, j’ai du mal à cacher ma déception. J’ai soudain l’impression d’être retourné à l’école : je fais de nombreux efforts, je suis assidu mais les résultats n’arrivent pas !
Pendant 9 jours, plus une seule panthère n’a montré le bout de sa queue. Les guides me disent que leur territoire est énorme et que parfois elles disparaissent plusieurs jours. Ça, je le savais, mais de là à imaginer qu’elles disparaîtraient plusieurs jours toutes en même temps !
La dernière semaine, les événements reprennent et de façon crescendo. Il y a d’abord un groupe d’ibex qui passe à seulement 50 mètres de moi. Le lendemain, c’est 3 loups du Tibet que j’observe pendant près d’une demi-heure. Le jour suivant, un superbe renard roux saute de rocher en rocher à seulement 200 mètres de mon guide et moi. Il ne nous a pas vus et reste un bon moment. L’avant dernier jour, alors que nous nous déplacions dans la vallée en voiture, à nouveau 2 loups apparaissent sur le bord de la piste à 10 mètres de distance ! Nous bondissons hors du véhicule et les regardons grimper la montagne. Par intermittence, ils s’arrêtent pour reprendre leur souffle, se retournent et nous fixent de leurs yeux jaunes. L’instant est intense, inoubliable. Cette rencontre justifie à elle seule les heures passées à attendre dans le froid glacial, ainsi que la frustration des journées précédentes.
Puis le dernier jour arrive. Dois-je encore croire en une rencontre avec elle à courte distance ? Rationnellement, le puis-je ? Je décide malgré tout de tout tenter jusqu’au bout. Je ne veux pas risquer qu’au dernier moment, la panthère entre en scène mais que mon siège de spectateur soit vide.
Alors, dès 06h30 du matin, je suis au poste d’observation en train de scruter mon environnement. J’ai mal aux doigts et aux orteils mais je tiens bon. Soudain, en parcourant la crête de la montagne, j’aperçois dans ma longue vue Jupiter qui brille encore malgré les premières lueurs du soleil. Et là, spontanément, je m’adresse à elle comme je me suis adressé à l’étoile filante
il y a quelques jours. Et je lui dis : « C’est mon dernier jour ici, donne-moi quelque chose de grand. Grand comme toi et aussi beau. »
Mais ce matin, à part quelques perdrix, aucun animal ne se montre.
Après le petit déjeuner, mon guide me propose une marche le long de la rivière qui commence à dégeler. Nous observons quelques oiseaux, notamment le cincle de Pallas, le gros bec à ailes blanches et le vautour himalayen. Vers 12h30, le chauffeur vient nous chercher en voiture. Nous retournons à l’auberge pour manger quand un homme sur le bord de la piste nous fait signe de nous arrêter. Il s’adresse à mon guide de façon agitée. Même si je ne comprends pas un mot de ce qu’il dit, je sens qu’il se passe quelque chose. Et là, je n’oublierai jamais son regard. Il me fixe pendant plusieurs secondes, l’air sérieux comme pour me dire que ma vie était sur le point de changer de façon irréversible, avant de me lancer : « Snow leopard ! »
Mon guide se retourne vers moi et me dis sur le même ton calme qui ne l’a jamais quitté de tout le séjour : « allons-y ».
Le chauffeur fais demi-tour et se dirige sur les lieux où non pas une mais trois panthères ont été vu ! Il s’agit d’une mère et ses deux petits pour être précis.
La piste est tellement mauvaise qu’il nous faut presque une heure pour couvrir la distance. Le temps m’a rarement paru aussi long. Sont-elles seulement encore là ?
Quand nous arrivons, plusieurs voitures sont présentes et les touristes ont déjà aligné leurs longues vues et autres téléobjectifs. Sur place, je retrouve Angus, un photographe animalier australien rencontré quelques jours plus tôt. Je lui demande directement : « Où est-elle ? Ça fait 18 jours que j’attends ce moment ! »
Il s’empare de ma longue vue et la dirige pile sur la mère et ses deux petits. Pour la première fois, les 3 panthères se trouvent suffisamment proches pour que je puisse voir leurs yeux et même leurs pupilles ! Elles sont allongées au sommet d’une colline, elles semblent trôner sur leur immense royaume. Je suis en train de vivre un moment unique dans la vie d’un naturaliste. Je réalise combien il était important de m’impliquer autant dans
cette quête, combien les émotions que je vis à ce moment sont intenses, énormes comme Jupiter !
Je prends conscience que rencontrer la panthère des neiges est autant une expérience spirituelle que naturaliste. En effet, plonger mes yeux dans ceux de cet animal, revient pour moi à réaliser l’impossible, à posséder la faculté de voir l’invisible. En d’autres termes, de vivre un miracle. J’ai l’impression d’atteindre une sphère nouvelle et supérieure, réservée à quelques privilégiés.
La panthère m’a aussi enseigné qu’il ne faut jamais abandonner et que quand on pense qu’il n’y a plus d’espoir, il reste toujours l’irrationnel sur lequel on peut compter.
Texte de Jerry Swift
Bio de Jerry Swift
Jerry Swift est un naturaliste, photographe et réalisateur de films animaliers qui passe sa vie à rencontrer des animaux sauvages dans le monde entier dans les endroits les plus reculés.
Dans les forêts tropicales, les déserts, les savanes, les montagnes, les océans et les côtes maritimes, Jerry approche toutes sortes d’espèces pour le plaisir rare de les observer et simplement d’être avec elles.
Jerry éprouve ainsi une vraie liberté en passant son temps auprès des animaux sauvages.
Pour en savoir plus
Si vous aussi, vous voulez rencontrer la panthère des neiges, contactez Phunchok Tsering sur www.exoticladakh.com
Pour plus d’infos sur Jerry Swift : https://meetwildanimals.com
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François
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