La déportation des Inuits : un sombre fait historique de l’Arctique canadien

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Vous connaissez Nanouk l’Esquimau ? C’est le héros du fameux film de l’américain Robert Flaherty paru en 1922 dont on dit qu’il a fondé le genre documentaire du cinéma. Flaherty a un peu triché à l’époque en faisant jouer des scènes de la vie courante reconstituées assez fidèlement à ses acteurs, mais de voir des autochtones ainsi dans leur environnement était un phénomène novateur On y rencontre Nanouk (de son vrai nom Allakariallak), ses femmes Nyla et Cunayou et leurs enfants en train de chasser, jouer et réparer leurs outils dans les environs du camp d’Inukjuak (Port Harrison) sur la côte Québécoise de la Baie d’Hudson.

On sait maintenant que Nyla et Cunayou étaient concubines de Flaherty et en portèrent la descendance. Ce dont on parle moins, c’est du triste sort qui leur a été réservé ainsi qu’à plusieurs autres familles de cette communauté : ils furent déportés vers de nouvelles communautés plus nordiques afin d’assurer la souveraineté du Canada dans le Grand nord. Bien qu’ils fussent outillés pour la survie en milieu arctique, les conditions climatiques auxquelles ils furent exposés n’avaient rien de commun avec ce qu’ils connaissaient alors.

À l’époque de la guerre froide, l’importance stratégique de l’archipel arctique se faisait sentir fortement. Les États-Unis tentaient d’asseoir leur pouvoiret leur contrôle sur la région. Or, il est un principe de droit international qui dit qu’il faut remplir plusieurs conditions pour revendiquer un territoire : celui-ci doit être occupé par de ses nationaux, la souveraineté doit être effective, etc. Le gouvernement du Canada devait donc démontrer qu’il y avait des citoyens canadiens jusqu’aux confins de son territoire pour éviter que les déploiements de l’armée américaine sur les bases nordiques ne mettent en danger cette portion de son territoire. Bien sûr, il y avait des bases militaires et dans certains cas, de vieux comptoirs de traite des fourrures. Mais les habitants permanents manquaient.

Le gouvernement entreprit donc de déplacer plusieurs familles d’Inukjuak sous prétexte humanitaire puisqu’il y avait alors une famine dans la région. 87 individus furent alors déplacés à plus de2000 km de là, bien plus au nord. Les différences environnementales entre les communautés ne sont pas anodines. Inukjuak est à 58°27′ N (latitude de Stockholm) tandis que Grise Fiord et Resolute Bay, les deux communautés créées pour l’occasion sont à  75°25′ et 74°41′  respectivement (latitude approximative de Thulé et Svalbard). Bien au-delà du cercle arctique, ils connaissent la nuit totale en hiver et le jour sans fin en été, tandis qu’Inujuak est tout de même éclairé pendant quelques heures quotidiennement même au plus fort de l’hiver. La température moyenne passe également de-7°C annuellement à -16,5°C. L’on promit aux familles des territoires de chasse, des bâtiments et la possibilité de retourner à Inukjuak. À leur arrivée, ils découvrirent un endroit désert et l’on ne leur permit pas de quitter les lieux. Or, il faut savoir que la compétence de survie des inuit dépend de leur connaissance intime du territoire, de ses ressources et des cycles saisonniers. Ils ont donc dû faire face à de très grands défis.

Lors de vos périples arctiques, peut-être rencontrerez-vous au Nunavut des Flaherty de Grise Fiord ou d’autres descendants de ces familles déportées. Sachez que les petits hameaux de Grise Fiord et Resolute ont une excellente réputation auprès des inuits : une criminalité bien sous la moyenne territoriale, un taux de chômage bas, une organisation exemplaire et surtout, un féroce instinct de survie. Le gouvernement a depuis présenté des excuses (en 2008) et dédommagé financièrement les victimes et leurs descendants, leur érigeant également un monument, symbolique certes, mais permettant aussi à tous de témoigner de cette sombre page d’Histoire de l’arctique canadien.

  

  

  

Pour conclure, voici un la bande-annonce de Martha qui vient du froid, un film qui traite de la déportation et où figure la petite fille de R.J. Flaherty

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