Crédits Photos : Damien Artero
Nathalie Courtet a réalisé, au début de cette année 2014, un grand périple dans le grand nord européen qu’elle a parcouru seule, pendant 71 jours (2,5 mois). Damien Artero, Auteur-Réalisateur-Conférencier, l’a rejoint sur quelques tronçons de son expédition dans l’objectif de réaliser un film sur l’expédition de Nathalie. Curieux de nature, j’ai voulu en savoir plus. J’ai contacté Damien et je lui ai proposé un entretien. Il a accepté avec beaucoup de plaisir de répondre à mes questions.
Bonjour Damien, tu as suivi Nathalie sur une partie de son périple et tu es en train de réaliser le film de son voyage
Correc’ comme disent les Québécois.
Comment votre collaboration est-elle née ?
Nathalie et moi nous sommes rencontrés à un salon du livre, à Montpellier je crois – nous participions à un débat sur le voyage à vélo. Apparemment, le journaliste qui animait a été un peu pénible car il s’en prenait au troisième invité, lequel voyageait en voiture et non à coups de pédales. D’après Nathalie, j’avais recadré un peu fermement le-dit journaliste… et du coup elle s’est souvenu de moi. Pas très glorieux mais bon c’est ainsi. Un jour j’ai reçu un appel téléphonique avec en bruit de fond le vent dans les sapins jurassiens et le clapotis du service à fondu et une voix avec à peine d’accent m’a demandé si je voulais bien partager mes astuces pour la nourriture de voyage – il se trouve que je bricole un peu là-dessus, je mange essentiellement végétalien et cru et en vadrouille je consomme bcp mes propres soupes, barres énergétiques, des fruits secs mélangés de façon précise, etc… (j’explique tout ça dans le making-of du film d’ailleurs) Donc Nathalie a débarqué chez moi un week-end pour faire atelier « crusine » ! Et de fil en aiguille, on a parlé images : Nathalie n’envisageait pas d’en rapporter, autre que quelques photos souvenirs.
Cela semblait dommage de ne pas documenter un tel projet, et on a fini pas se dire tous les deux, mais pourquoi Damien n’irait pas filmer l’aventure ? C’était une superbe opportunité pour moi comme pour elle. Elle a proposé de prendre en charge tout mes frais – elle ne pouvait pas me rémunérer, tu penses bien, des semaines de tournage, des semaines de montage… – et maintenant que le film va sortir je vais tâcher de me payer un peu de mon travail sur ses ventes, que ce soit en dvd, en vod, en conférence… Je ne vois pas tant cette collaboration comme du bénévolat, d’ailleurs, même si techniquement je bosse gratuitement depuis le début, que comme une chance formidable qui m’est échue comme ça, par hasard, que Nathalie m’a donnée en fait, d’aller tous frais payés (par l’aventurière !) me geler les fesses dans un des plus impressionnants endroits du continent. Ca ne se refuse pas. Et je pense que à ma place, toi non plus François tu n’y réfléchirais pas à deux fois !
Quelle logistique as-tu mis en oeuvre pour faire ce suivi ?
Cela relève de ma petite sauce personnelle. Je n’avais aucune expérience des conditions de grands froids, si ce n’est un court tournage dans le Jura, déjà, avec mon camarade Virgile, pour le film « Jor » qui fait partie de ma série « France, terre d’aventures« , dans laquelle je développe l’idée que l’aventure dépend surtout du regard qu’on pose sur un territoire : je choisis des régions de France, de grande proximité, et je m’amuse à les explorer comme si j’étais Indiana Jones au Pérou, tu vois ? Ca m’a fait une bonne mise en bouche, c’est sûr, mais comme dit Nathalie dans notre film, le Grand Nord, c’est comme le Jura, en plus grand, plus fort, plus dur, plus froid, plus haut… en fait « le Grand Nord européen c’est le Jura en beaucoup plus tout ! ».
Donc pour ne rien ta cacher j’avais pas mal les pétoches, comme dirait ma grand-mère. J’ai dû adapter mon matériel image, bricoler des vêtements spéciaux pour porter les batteries au plus près de mon corps, bricoler mon fourgon aménagé pour qu’il survive et nous emmène là-haut… je raconte tout ça dans le making-of qui sera sur le DVD, et toute cette phase a été enrichissante et intéressante : isoler des batteries de camion, apprendre à se servir de filtres polarisant, ce genre dé réjouissances.
Comment t’es-tu formé aux techniques des raids nordiques ?
Aux quoi ? je n’ai aucune technique de ski nordique. Comme je t’ai dit, j’avais fait un petit peu l’expérience dans le Jura, mais rien de plus. Et pour le projet 71° Solitude Nord, je devais suivre Nathalie à fat-bike – tu sais, mon vtt aux roues géantes. Ca n’a été possible que sur des petits bouts au final, à cause de la neige. Donc j’ai suivi Nathalie comme j’ai pu le reste du temps, en raquettes, et à skis, mais je n’avais que mes skis de randonnée alpine, et j’ai pas mal souffert. Moralité, faudrait que je me forme là-dessus, avec le matériel idoine, tu as bien raison. Peut-être ai-je trop confiance en ma capacité d’adaptation – c’est le genre de bêtise que tu ramènes de voyages autour du monde, la débrouillardise tous-terrains – et du coup je me lance dans des aventures comme ça sans plus réfléchir… tu me fais cogiter là avec ta question, car on m’a demandé d’aller au Spitzberg l’hiver prochain pour un autre film. Faudrait peut-être que je prépare ça plus sérieusement tiens !
La vie avec Nathalie au milieu du nul part est-elle facile ?
La vie au milieu de nulle part n’est jamais facile à proprement parler, quand bien même c’est exactement ça qu’on recherche. Donc d’une part il y a un milieu qui te remet à ta place constamment, un milieu âpre, sans concession, son compassion, dans lequel tu ne peux pas t’autoriser d’erreur. Tu t’y sens minuscule et en même temps plus vivant que jamais. Ca, j’aime. Je carbure à ça. D’autre part, il y a la cohabitation avec Nathalie. Et là, aucun souci : c’est une aventurière aguerrie, super organisée et rigoureuse, tu te sens toujours en sécurité avec elle ; elle est ouverte et disponible, elle est plus que tous terrains, le film en témoignera ! Donc à part la Cancoillotte franc-comtoise dont elle remplit ton frigo et le Mac Vin du Jura qu’elle veut te servir à chaque halte du camion (je parle du trajet jusqu’au départ), ça se passe fort bien, et c’est remarquable vois-tu ?
Car d’abord, dans des milieux intenses comme ça, tu n’as guère la place pour des tensions ou de la mésentente, sinon l’équipe – car on formait bel et bien, même si en pointillés, une équipe – en pâtit immédiatement . Car, ensuite, les trempes qui font des aventurières du niveau de Nathalie ne sont pas toujours humainement faciles à gérer. Sur les semaines qu’on a passé ensemble, je ne compte que quelques petits jours de tension, bien compréhensibles à mon sens : c’est à la fin, quand Nathalie a du « rejoindre la civilisation ».
Je crois simplement qu’elle a tellement adoré être seule dans le grand blanc que mon retour à ses côtés pour la fin du périple l’a perturbée – pour appeler un chat un chat, avoir un compagnon de route, ce qui au début l’a rassurée et confortée, à la fin ça l’a emmerdée. C’était un bouleversement trop fort, trop brutal de l’équilibre et de l’harmonie qu’elle avait construite, en tête à tête avec elle-même et en tutoyant cette nature sauvage et immaculée. 45 jours seule dans le vide sidérale. On en a parlé, car Nathalie, malgré son pédigrée jurassien, communique bien, elle est patiente et compréhensive. On s’est dit que une poignée de journées un peu accrocheuses au regard de semaines entières de cohabitation et de collaboration sereine dans des conditions parfois dantesques, c’est un excellent bilan pour les deux têtes d’enclumes que nous sommes ! Donc pour résumer brièvement une réponse trop longue, oui la cohabitation avec Nathalie est facile.
Qui a posé le plus de contraintes à l’autre durant votre cohabitation ?
Tu cherches vraiment le sensationnel et la friction avec tes questions ! Pourquoi aborder les choses par l’angle négatif ? Moi je vois ce que nous nous sommes apportés de bien : Nathalie m’a motivé à un dépassement de moi important, car je partais sans aucune préparation physique et en grande méconnaissance de ce genre de terrains ; ma présence au début lui a servi de tremplin pour ensuite gérer sereinement toute la partie solitaire pure ; je pense lui avoir appris pas mal de ficelles de mon métier et de son côté elle m’a appris des tas de choses sur la gestion du milieu nordique ; la voir à l’oeuvre est une grande source d’inspiration et de motivation, sur le plan technique, car elle est une gestionnaire d’aventure, je l’ai dit, irréprochable.
Bien sûr nous avons été contraignant l’un envers l’autre, la vie est ainsi faite, dès que tu côtoies du monde, à moins d’aller t’exiler au fond d’une vallée perdue du Kunlun. Mais comme nous sommes tous les deux flexibles, ça ne se solde pas par des contraintes mais des apprentissages. Et pour parler d’un point précis, le tournage du film, oui c’est une contrainte très forte : il faut faire de multiples pauses, se mettre en place, filmer deux fois, trois fois le même geste, alors qu’il fait -20° et que le vent souffle à 80 km/h, mais ce film, nous le voulions tous les deux très fort, donc on a pas vécu ça comme des contraintes imposées par l’autre, mais comme un travail conjoint qu’on s’était donné, ensemble, pour objectif de réussir.
Parce que, là, on déconne un peu, mais le projet de Nathalie n’est pas anodin. Permets-moi de replacer le contexte : une fille sans expérience du grand nord part traverser la Laponie ; seule, en autonomie, donc elle tracte une pulka plus lourde qu’elle – 71 kilos au départ ; elle a devant elle environ 1200 km d’étendues pour la grande majorité désertique, assaillies par les vents, enneigées et gelées ; elle ne sait pas trop où elle va passer car une majorité de son parcours n’est pas balisé, et même si elle vient pour le silence, le rapport privilégié avec la nature, le chronomètre tourne quand même, car au printemps, quand la débâcle arrive, si elle n’est pas sortie, elle peut très bien rester coincée à cause de la fonte des neiges. Genre coincée dans le Sarek, un massif montagneux totalement vide, non balisé, super dangereux au printemps quand le risque d’avalanche se décuple, que les rivières reprennent vie… Nathalie la ramène pas là-dessus, elle te parle de poésie, de contemplation, du rythme de la pérégrination lente à la force musculaire… ouaip. Bien sûr, c’est le cas. Mais derrière il y a avait quand même une petite épée de Damoclès – enfin un stalactite de Damoclès, tu vois ?
Nathalie m’a dit que tu avais développé du matériel spécifique. Tu peux nous en dire plus ?
Ce sont de petites bricoles : une housse pour ma caméra, un petit rail pour le trépied afin de faire des slides, une veste porte-batteries. Je fais tous mes films sur mes deniers, tout seul, sans maison de production, sans financement ni diffuseur – j’ai juste des sponsors fidèles qui m’offrent du matériel. Donc je fais avec le peu que j’ai, je me creuse les méninges et je bricole. Avec toujours en tête l’idée d’être efficace sur le terrain, léger, et de n’avoir besoin de personne. L’autonomie solitaire que prône Nathalie, à raison, moi je la cultive aussi dans mon métier.
Le matériel vidéo n’a pas trop souffert ?
Que si ! J’ai dû changer d’optique, nettoyer de fond en comble ma caméra, jeter qques batteries gelées – pourtant nous avons eu un hiver plutôt doux. Mon fourgon aussi en a pris plein la tronche, mais c’est le jeu ! Car il devait nous emmener au point de départ, au nord de la Finlande, puis j’ai du l’emmener au Cap Nord tout en suivant Nathalie en raquettes ou à skis, donc de multiples allers-retours, et enfin je devais déposer une poignée de ravitaillements le long du périple solitaire de Nathalie. En tout, ce pauvre fourgon trentenaire a roulé 7000 km dont probablement plus de 2500 sur routes enneigées, croûtées de glace, balayées par des vents violents… Tout le matériel a souffert !
Que faisais-tu entre 2 rencontres ?
Plein de trucs ! Le Grand Nord c’est vide mais tu n’as pas le temps de t’ennuyer : aller filmer la nature, faire un timelapse d’un soleil qui ne veut pas se lever, maintenir en vie le véhicule quand tu y retournes, faire des tours de fat-bike au large du parcours de Nathalie… et puis entre deux rencontres avec elle, j’allais voir les locaux, autant que possible.
Tu nous dévoiles le teaser du film qui est déjà en pré-commande. Quand sera-t-il disponible ?
Je suis en train de terminer le film, en version longue, pour le DVD, lequel sera prêt avant Noël – je l’ai promis à nos fidèles ! Mais on peut d’ors et déjà pré-commander le dvd si on veut être sûr de l’avoir (au hasard pour les fêtes). La version « salle », plus courte, sera prêt en janvier, et disponible en VOD. Tout ça sur la même et unique page : http://www.planeted.eu/films-videos/films-de-damien/71-solitude-nord-laponie-ski-hiver/
Bande-annonce du film 71° Solitude Nord
Making-of du film 71° Solitude Nord
Quelque chose à rajouer ?
Je cherche une paire de chaussures de ski de randonnée alpine TRÈS confortables pour aller au Spitzberg, si quelqu’un a ça ou si un sponsor se présente…
Plus sérieusement, j’espère que le film vous plaira et vous dévoilera, outre une région majestueuse et une nature implacable, le portrait d’une nana qui cache derrière sa modestie et sa réserve une trempe exemplaire, et qui, si elle continue de croire en elle comme ça, va remplir son chemin de vie de formidables aventures. Pour organiser une projection-débat, faut me joindre ! contact@planeted.eu
Merci François de l’intérêt que tu nous portes.
Le DVD du film est en commande ici (sortie pour Noel 2014) : http://www.planeted.eu/films-videos/films-de-damien/71-solitude-nord-laponie-ski-hiver/
Site de Damien : www.planeted.eu
Site de Nathalie : www.nathaliecourtet.fr
Retrouvez l’entretien avec Nathalie Courtet que nous avons également soumis à l’épreuve de nos questions !
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Elle nous explique toutes les phases de sa préparation.
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