Une française passe 71 jours seule et en autonomie dans le Grand Nord en hiver

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Nathalie Courtet a réalisé, au début de cette année 2014, un grand périple dans le grand nord européen qu’elle a parcouru seule, pendant 71 jours (2,5 mois). Curieux de nature, j’ai voulu en savoir plus. J’ai contacté Nathalie et je lui ai proposé un entretien. Elle a accepté avec beaucoup de plaisir de répondre à mes questions. Un film sur son voyage est en cours de préparation.

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Bonjour Nathalie, quand as-tu commencé à imaginer ce voyage d’aventure ?

En fait, nous avions imaginé, avec deux amies mushers (conductrices d’attelage de chiens de traîneau) effectuer une traversée de l’Oural en Russie, dans le sens Sud Nord, sur trois mois et en autonomie. Alors pour tester notre matériel, notre alimentation et tout le reste, nous sommes parties dans le Nord de la Finlande en avril 2013. Et avons abandonné le projet Oural… prévu l’hiver d’après. J’ai décidé à ce moment là que je ferais tout de même quelque chose dans le Grand Nord. Dans un premier temps j’ai cherché un coéquipier, mais j’ai vite abandonné. J’étais alors prête, dans ma tête, à partir toute seule.

Qu’est ce qui a justifié ce choix de partir seule ?

Plusieurs choses. Il y a beaucoup d’inertie à préparer un projet à plusieurs. Les emplois du temps ne collent jamais, c’est difficile d’être efficace, les avis divergent… Et puis en préparant tout, toute seule, je suis dedans à fond déjà, je ne me repose sur personne, je sais où j’en suis que ce soit pour la préparation physique, l’alimentation, la cartographie, le matériel… Je sais où je vais. C’est plus de travail mais c’est aussi plus de maîtrise, avec des choix qui correspondent à ce que je suis… Et une entière liberté dans ces choix, ce qui a son importance sur un projet de cette envergure. Ensuite, de par mon métier peut-être (accompagnatrice en montagne), j’aurais un peu tendance à me sentir responsable, si je pars avec quelqu’un, en cas de pépin, ou d’échec… et je n’ai pas envie de porter ça. Partant seule, je n’ai que moi à m’occuper, je connais mes possibilités et mes limites, je parle aussi bien de capacités et de qualités physiques que mentales. Je sais mes fragilités et seule, je saurai détecter le moment où j’abuse, alors qu’à plusieurs, il faut s’adapter, dans un sens ou dans l’autre. Et s’adapter sur cette durée et cette difficulté est en soi-même un défi… Et finalement, partir seule c’est peut-être une garantie pour mener le projet à son terme, le vivre pleinement, et se garantir de regrets ou de déceptions. C’est quelque chose qu’on ne fait pas dix fois dans sa vie… Une totale liberté implique de partir seul. Je voyais finalement plus d’avantages que de contraintes à partir en solo.

Quels objectifs as-tu recherché principalement dans ce voyage ?

Je voulais être capable de skier jusqu’à la débâcle, pour profiter pleinement de ces jours qui rallongent à l’infini, de m’imprégner complètement de ces paysages de Grand Nord, de vivre l’hiver, avec ces contraintes de froid, de solitude… M’extirper pour un temps et totalement de tout contexte humain et social, et être capable de tirer mon épingle du jeu dans un milieu où il est impossible de tricher. Savoir si je serais capable de m’adapter aux éléments, à la nature, sans mettre à mal mon organisme. Je voulais voir les lumières du Nord l’hiver et me gaver de silence. Avoir la paix, dans le sens noble du terme. Me fondre dans le décor, faire partie intégrante du milieu comme n’importe quel autre mammifère à sang chaud.

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Crédits photo : Nathalie Courtet

As-tu suivi une formation particulière ?

Non. Je suis jurassienne d’origine, la neige et le froid sont des éléments que je côtoie depuis toujours. Et mes différentes expériences, de voyage (28 mois en Asie à vélo couché, 45 000 km, entre autres), sportives (ultra trails), ou professionnelles, m’ont forgé un mental et une certaine capacité d’adaptation, une connaissance de moi-même aussi, une confiance en moi.

Quels conseils pourrais-tu donner à quelqu’un qui voudrait faire pareil ?

D’être d’une méticulosité extrême dans la préparation, de ne rien laisser au hasard. De l’imprévu, il en restera toujours, mais dans des conditions extrêmes, il est forcément lourd à gérer. Tout ce qui peut être pensé avant permet de libérer l’esprit pour profiter pleinement une fois sur place. Donc ne rien négliger dans la préparation. Etre conscient de ce qu’on fait, de l’engagement que cela représente notamment par rapport à l’isolement. Et puis rester humble, nous ne sommes rien du tout quand les éléments se déchaînent. Rien du tout…

As-tu développé une technique particulière ?

Non, je ne pense pas. J’ai utilisé du matériel tout à fait standard, je n’ai fait aucun gros investissement. Je ne suis pas sponsorisée, je voyage sur mes propres deniers donc le matériel que j’utilise est le même que celui avec lequel je travaille, ou que j’utilise ici dans le Jura. Pour mes repas, j’ai tout déshydraté avant de mettre sous vide. Je n’ai rien inventé, je me suis beaucoup renseignée dans un premier temps, puis j’ai adapté pour que cela me convienne, à moi, au projet, au terrain… Pour ma préparation physique, je me suis entraînée comme d’habitude, à la sensation, sans stress, sans objectif autre que de m’assurer que le harnais ne me blesserait pas lors de la traction. En temps qu’éducatrice sportive, j’ai quelques bonnes notions sur le fonctionnement de l’organisme, l’effort, l’apport énergétique, la récupération… Le plus important est de bien se connaître.

L’objet fétiche de ta pulka que tu ne regrettes pas d’avoir pris

Je n’ai pas d’objet fétiche, ni là ni ailleurs. Je suis très terre-à-terre, très pragmatique. Ma pulka était assez lourde sans ça !

Ton moment le plus difficile

La tempête de neige sous la tente. Sortir du duvet par moins trente. Le vent tempétueux de face. Les derniers jours : prendre conscience que c’est fini !

Ton moment le plus merveilleux

Tout le reste, et même ceux ci-dessus sont devenus des bons souvenirs finalement !

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Crédits photo : Damien Artero

As-tu déjà d’autres projets en préparation ?

J’ai toujours des projets en préparation ou au moins des idées qui me trottent dans la tête. Dans l’immédiat il y a le film, et puis un manuscrit aussi, qui attend une réponse positive pour être édité. Mais je suis capable aussi de partir faire des choses beaucoup plus faciles tout en y prenant autant de plaisir. Je suis rentrée il y a trois semaines maintenant de 80 jours à vélo couché. Je suis partie de Dunkerque, ai longé la Manche puis l’Atlantique, au plus près, en faisant tous les détours et les contours, jusqu’à Gibraltar, me suis baignée souvent, puis suis rentrée en bus et en train. C’était très beau aussi…

D’une façon plus générale, as-tu un style de voyage que tu préfères ?

La propulsion musculaire pour mode de déplacement. Après peu importe que je sois à pied, sur des skis, un vélo, ou dans un kayak. Et l’itinérance, changer d’endroit tous les jours, ne pas tourner en rond et ne jamais revenir en arrière. C’est une image, mais elle est forte, comme dans la vie quoi ! Donc pas de boucle ni d’aller retour. Devant toujours. J’ai une attirance sans borne (eh eh justement) pour les grands espaces, qu’ils soient de neige, de sable, d’eau. J’aime les endroits de la Terre à faible densité humaine, où les rencontres, justement, marquent l’esprit et restent gravées. Je ne cherche pas la quantité. J’aime les endroits rudes, là où ne se retrouvent que ceux qui ont fait l’effort de venir.

Ta plus belle destination ou ton coup de cœur ?

J’ai aimé tous les voyages que j’ai fait, j’ai trouvé du plaisir dans tous et ta question me colle. Les destinations en elle-même m’intéressent de moins en moins. C’est dans la démarche même du voyage que je me retrouve, il y a du beau et du moche partout, des moments difficiles ou des moments faciles dans tous les voyages. Les cartes postales, les clichés, ne m’intéressent pas, c’est ce qu’il y a entre les cartes postales qui me fait vibrer.

Ton pire voyage ou ton pire souvenir ?

Les moments difficiles sont souvent éphémères, et la pénibilité s’estompe vite dans le souvenir, et deviennent alors des anecdotes croustillantes. Allez, les cinq semaines pendant lesquelles j’ai perdu 12 kg au Myanmar à cause d’un parasite intestinal lors d’un périple à vélo, le problème a été résolu dans un hôpital de province thaïlandais…

Ce que tu as toujours dans ton sac à dos, ta pulka, tes sacoches

De quoi lire et écrire. Une boussole.

Toi qui d’habitude fonctionne sans média, sans sponsor, pourquoi avoir contacté Damien Artero pour faire un film ?

J’avais rencontré Damien au salon du livre de Montpellier deux ans plus tôt et sa façon de s’alimenter m’avait interpellée. Je l’ai contacté pour lui demander quelques conseils, quelques recettes, je le savais auteur, pas réalisateur. De fil en aiguille, il a été décidé qu’il m’accompagnerait un peu au début et un peu à la fin.

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Crédits photo : Damien Artero

Comment as-tu géré sa présence ?

Bien. Nous avons beaucoup discuté avant, j’ai visionné tous ses films, et d’autres, sur lesquels il voulait que je m’exprime, que je lui donne mon ressenti. J’ai aimé cette démarche qui dénotait d’une réelle volonté de respect aussi bien du projet que de moi-même !!. Damien possédant un fourgon aménagé, ça a largement simplifié la logistique. Nous sommes allés sur place avec tout le matériel dans son camion où nous pouvions dormir. Une fois sur place, jusqu’à la frontière norvégienne, nous avons cheminé ensemble, puis ensuite Damien était avec moi en pointillés, nous nous retrouvions à des points précis, quand mon itinéraire croisait une route, ce qui me permettait aussi de temps en temps de dormir dans le fourgon. Puis à partir du Cap Nord, j’ai été réellement seule pour 45 jours, avec un dictaphone, deux caméras, trois boîtiers étanches et cinq batteries, un panneau solaire pour les recharger. Je me suis détachée peu à peu donc, une transition en douceur, une prise de confiance. En redescendant du Cap Nord, il a fait les déposes de mes ravitaillements en nourriture aux endroits convenus. Bien sur il a fallut que je m’adapte à lui pour les besoins du film de temps en temps mais très peu, le but n’étant pas de faire du cinéma mais de filmer la réalité, sans fioriture ni édulcorant. Je pense qu’il s’est plus adapté à moi que l’inverse d’ailleurs… A son retour à la fin de mon expé, ce fut pareil, transition en douceur. Sa présence n’a impliqué aucun changement dans ma manière de faire ou d’être. Je ne suis pas actrice.

Pour un voyage en solitaire, ça a dû être un peu perturbant, non ?

Non, parce qu’il a été discret et que tous nos échanges préalables avaient permis de bien caler les choses, de partir en étant certains autant qu’on peut l’être d’être en phase. Il ne faut pas oublier que Damien est lui-même un aventurier, un baroudeur… Et puis j’étais contente de ces transitions en douceur. J’ai tout de même fait les deux tiers du chemin toute seule.

La logistique pour les rencontres et se retrouver au milieu de nul part n’a pas dû être facile. Comment avez-vous géré cela ? GPS et carte. Quant aux rencontres, ce fut de l’improvisation totale, les opportunités sur le terrain, comme dans tout voyage de type aventure. Toutes les rencontres ont été spontanées et rien n’a été répété à l’avance. (sauf pour les ITW de mes proches évidemment)

As-tu vu les premières images du teaser ? Cela correspond-il à ce que tu as vécu et au message que tu souhaites faire passer ?

A l’heure qu’il est, j’ai même vu plus que le teaser. Je me retrouve complètement dans le film que Damien a réalisé et ceci est pour moi d’une importance capitale. Je ne suis pas partie pour faire un film, il se trouve que ce que j’ai fait a été filmé… C’est tout l’avantage de partir avec des « artisans », à l’écoute et capables de s’adapter. Damien a parfaitement respecté l’éthique, l’optique, de l’expédition. Nous sommes co-auteurs sur le film, c’est un partenariat et ceci est lourd de sens. Damien a mis en œuvre de son côté tout ce qu’il était possible afin que son matériel soit adapté aux conditions et tienne le choc (et lui aussi !), il a adapté, bricolé, pensé beaucoup, tout cela en un temps record car notre collaboration ne s’est décidée que peu de temps avant le départ. Quant à la qualité des images et du film en général, c’est du Damien Artero dans la droite lignée, perfectionniste jusqu’à l’obsession. Une version DVD, qui offrira aussi le making of et des bonus, est déjà disponible en précommande pour Noël, et une version un peu plus courte pour les festivals, où il est déjà très attendu !

Quelque chose à rajouter ? J’ai été bien bavarde déjà. Merci François !

Bande-annonce du film 71° Solitude Nord

Making-of du film 71° Solitude Nord

Le DVD du film est en précommande ici (sortie pour Noel 2014) : http://www.planeted.eu/films-videos/films-de-damien/71-solitude-nord-laponie-ski-hiver/

B4bCMeIIIAAOPpA[1]Site de Damien : www.planeted.eu
Site de Nathalie : www.nathaliecourtet.fr

Retrouvez l’entretien avec Damien Artero que nous avons également soumis à l’épreuve de nos questions !

Voir tous nos articles sur Nathalie Courtet.
Elle nous explique toutes les phases de sa préparation.
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Fondateur du site Un Monde d'Aventures, je suis un passionné des grands espaces sauvages et des mondes polaires. J'ai réalisé plusieurs raids autonomes au Groenland et en Laponie. J'aime partager ma passion à travers ce site. Voir tous les articles écrits par François - En savoir plus sur François

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