Le Pic Lénine vu par Véro : C’est très long mais c’etait très haut…

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Il y a presque 2 ans, on vous parlait de Véronique, une française qui a traversé le Pamir en tandem avec son fils de 8 ans sur 1200 kilomètres en 30 jours.

Aujourd’hui, Véronique nous parle de sa nouvelle aventure. Depuis le temps qu’elle avait lancé le teasing auprès de ses amis, il était temps qu’elle passe à l’action… Elle nous raconte tout ci-dessous. Je lui laisse la parole.

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Alors, alors… le Lénine, ce cher Lénine… depuis le temps que j’en rêvais, que j’en parlais…

Quand le poste au Tadjikistan s’était présenté… je savais à peine où le pays se situait mais je savais une chose… il y avait la Pamir highway ET le Lénine là-bas! Ça, je savais!

Pic Lénine… 7134 mètres… ben si, un 7000!!! Autant dire que l’on joue dans la cour des grands… bon ok, le plus facile des 7000 de notre jolie planète mais on n’est pas totalement fous non plus!

Le Lénine a commencé chez James Bond sur le lac de Nurek.

Si, c’est logique… première étape, il fallait convaincre Igor! On devait se faire des vacances coolos pépère en vélo dans le Pamir et finalement, on change les plans… enfin, je veux changer les plans!

Vaste programme que de convaincre Igor vu qu’il est quand même au moins aussi têtu que moi (heureusement pour lui d’ailleurs)… il n’était pas convaincu du tout, on n’est pas entrainés, c’est trop haut, je vais me retrouver à t’attendre au camp de base… hummmm…. Il a fallu que je traverse le lac de Nurek à la nage avec lui (malgré ma peur terrible des petits poissons qui mangent les pieds) pour obtenir un « oui »… on est revenus sur la plateforme de l’hôtel après plus d’une heure de nage et moi, triomphante.. « il a dit oui »… quelques-uns ont compris tout de suite, d’autres ont cru à des trucs insensés… non, non, ce « oui » là était beaucoup mieux! Il a dit « oui » à Lénine, yesssss….

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Ca a continué au Vieux Campeur et chez Décathlon début juillet… J’espère que vous n’y êtes pas passés après moi… dévalisage en bonne et due forme…

Il fallait penser à tout. Armée de ma petite liste… j’ai sérieusement fait chauffer la carte bleue… les super chaussures pour 7000, les sacs de couchage, matelas, super doudounes, les baudriers, les crampons, les vis à glace, les chaufferettes, les piolets et surtout, surtout, l’accessoire indispensable qui me sauvera bien souvent: le « pisse-debout »!!! Igor n’en a pas besoin, ils sait déjà faire pipi debout mais pas moi!

Grâce à ce petit tube magique, je vais pouvoir faire pipi en pleine ascension sans avoir besoin d’enlever baudrier, pantalon et culotte devant toute la cordée, c’est con mais ça met plus à l’aise quand même! … et je vais pouvoir faire pipi tranquillement dans notre « pee-bottle » (on parle anglais entre alpinistes!) sans avoir besoin de sortir de la tente à 3h du mat’… avouez qu’en cas de tempête de neige, c’est quand même pas complètement idiot!
Go girls !!!

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Et donc, le 24 juillet, on arrivait au camp de base du Lénine… 3600m, 77 tentes jaunes et une grande tente de mariage pour la cantine… bel endroit, ciel bleu foncé, nuits fraiches, ça commence très bien. Lénine est tout là-bas, face aux tentes… tout blanc et tranquille! Il nous nargue gentiment.

On rencontre nos guides… Micha, Andrei, Alexei, Constantine, Sacha… ça parle bien plus russe qu’anglais… on se retrouve souvent à traduire pour les autres… comique!

3 jours au camp de base à se faire les jambes… balades dans le coin pour commencer une acclimatation en douceur. Le premier jour consiste à faire le tour des plaques et mémoriaux de tous les alpinistes morts ou disparus sur cette belle montagne… gloups!! Euh, ils veulent nous décourager ou bien?

On constate rapidement que le profil de celui qui arrive au sommet est petit et maigre… nous sommes petits… maigres, c’est moins sûr! Les rares vainqueurs de la montagne reçoivent leur diplômes le soir à la cantine avec applaudissements et sifflements de tout le monde, l’ambiance est sympa… Après l’étude du profil de ceux qui réussissent, on comprend assez vite que non seulement, il vaut mieux être petit et maigre mais qu’il faut aussi avoir beaucoup de chance avec la météo… pour chaque groupe, très peu y arrivent… hummmm… C’est pas grave, l’essentiel est de participer, hein!!

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3ème jour, les choses sérieux commencent… on va avoir 5 guides pour 15. 1 guide pour 3. C’était le deal. Tout va bien.

Seulement 2 femmes pour 15!! Pas beaucoup de femmes… trop peu!! Le mec du Vieux Campeur m’avait prévenue, les chaussures de haute altitude en 36, ça n’existe pas!!! Ben oui, si peu de femmes montent si haut!

On nous donne la bouffe pour les journées passées au-dessus du camp 1 (4300m). Grande discussion avec Andrea, mon jumeau italien qui est de la partie… qui ne veut pas manger de saucisson en altitude car ça prend trop d’oxygène pour digérer!!! Je vous épargne les débats sur le sujet! On a quand même pris du saucisson et il en a mangé (avec plaisir) à plus de 5000m!!

Les guides vérifient que nous soyons équipés comme il faut… c’est qu’ils ont peur que l’on ait froid… difficile à imaginer au camp de base où le soleil tape très agréablement et où l’on met juste une petite polaire en soirée! Surtout les gants, super important les gants… on en a 4 paires chacun… des gants de soie, des gants en polaire, des gants de ski et des gants d’expédition (et oui, on s’en est servi!) Ne jamais perdre ses gants, ok, ok!

On prépare les sacs… ceux que l’on laisse au camp de base, ceux que l’on porte sur notre dos, ceux que l’on donne aux chevaux… on passera un temps hallucinant à faire et refaire nos sacs… ne rien oublier mais voyager léger!

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C’est parti, on monte au camp 1 (4300m)…. On quitte la verdure, on croise quelques marmottes (énormes), les derniers yaks… puis on monte dans la moraine en longeant la langue du glacier Lénine! Après avoir passé le col Puteshestvennikov (c’est son vrai nom!), plus un brin d’herbe, de la caillasse, du sable et des torrents…

Le charme du camp 1 n’est pas exceptionnel mais la vue de la salle de bain vaut le coup… on se brosse les dents face à Lénine! On voit le trajet que l’on va suivre dans quelques jours, quasi vertical sur le glacier, ah ouais? Le camp 2 est caché derrière le gros rocher à droite, il a été emporté en 1990 par un tremblement de terre (40 morts) donc il a été déplacé depuis .. hummm, ok… et le camp 3 est tout là-haut derrière la butte, tu vois? Et ensuite, tu tournes à gauche et tu longes la crête jusqu’au sommet… si, si ,c’est possible… la crête monte doucement, c’est long mais ça le fait! Ouais.. ok! Euh… mais, les nuages au sommet, là, ils vont quand même super vite, non? Ah ben oui, aujourd’hui, y’a trop de vent, c’est sûr! La météo est difficile ici… seulement 20% de ceux qui arrivent au camp 3 atteignent le sommet!

Ben voilà… tout est dit!

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Les tentes de mariage pour la cantine du camp 1 sont plus petites… le vent y est bien plus froid… la caillasse noire du sol rend les lieux bien sévères… mais on se rapproche du sommet… quoi qu’on dise… on s’est déjà rapprochés! Lénine est toujours là, imperturbable…

2 jours au camp 1 pour faire les essais de crampons, d’utilisation du jumar, du descendeur parce qu’honnêtement.. on est des touristes-alpinistes… c’est notre première fois! Une journée sur la glace à faire mumuse avec toute notre matos tout neuf!! Ouais, ça a l’air facile… mais à la verticale sur un glacier avec un vent à décorner les yaks… comment on va faire!?? Alors en fait, on évite tout de suite ce style de questionnement… on y est, on y est… de toutes façons, on verra bien! Demain, il fera jour comme disait ma chère Tati!

Deuxième jour en fin de journée… il pleut/neige/grêle… on ne peut pas dire que la météo soit avec nous… mais demain… on monte au camp 2… yeah!! On refait les sacs, celui que l’on laisse au camp 1… celui que l’on donne au porteur et ceux que l’on va porter… logistique indéfinie…

On se couche tôt… il neige… silence cotonneux de la montagne…

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Réveil à 3h du mat’… on range tout, on emballe les sacs de couchage, on roule les matelas… on s’habille… on est prêts et notre guide débarque pour nous dire que non.. on ne part pas… il est tombé plus de 30cm de neige dans la nuit, il neige encore… ça veut dire beaucoup plus de neige en haut donc c’est trop dangereux… on peut se recoucher! Damned! On était prêts!

Une journée de plus de balade avec les crampons pour les tester dans la neige profonde histoire de bien se faire les cuisses… la météo est vaguement plus douce… donc demain, on y va… yes, yes, yes…

Rebelote, réveil à 3h du mat’, petit dèj à 3h30… un bol d’avoine à 3h30 du mat’, ça vous dit, non?

Et on démarre à 4h en file indienne dans la nuit noire… un peu émus, un peu excités, un peu inquiets… on nous annonce 6-7 heures de marche, la partie la plus difficile car très raide, la partie la plus dangereuse car sur le glacier quasi tout du long… yes, we can!!

Au bout d’une heure de marche dans la neige… pause: on met les baudriers, les crampons… on s’encorde… et tout d’un coup, la pente devient de plus en plus raide… 35% de pente… c’est TRES raide, surtout au-dessus de 4000m! On plante les crampons dans la neige et on pousse sur les cuisses! Allez! Pas le choix, on est encordés, obligés d’aller au même rythme que ses coéquipiers. On monte… le soleil se lève… oh mais que c’est beau…

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On contourne les crevasses… non, non, pas de pause tout de suite, trop dangereux… bon… on pousse… on monte…

Enfin une pause dans la neige… incapable d’utiliser mon pisse-debout… arrrrrgh… je suis bloquée!! Pas si simple de faire pipi debout les filles, j’vous l’dis! Obligée de me déshabiller… les autres sont à quelques mètres… regardez de l’autre côté!

Moncef, un français qui est avec nous, se sent mal… répète qu’il n’est pas là … est tout faible… le mal d’altitude le frappe de plein fouet… il redescend en urgence avec un guide… il s’est fait peur mais il ira mieux très vite en redescendant.

On arrive en haut de la grosse pente et là, commence la traversée du glacier pour rejoindre le camp 2. On est au-dessus de 5000, debout depuis 3h du mat et on marche depuis 4-5 heures… je dois dire qu’un soupçon de fatigue se fait sentir… le soleil tape… On arrive enfin au camp 2 vers midi. Je me sens alors dans un état très moyen, mal de tête, nausées… les classiques du mal d’altitude… on se pose dans une tente dont le sol est totalement en pente… pas une seule tente n’est à niveau dans ce camp… on se repose… mon état empire et suis incapable de faire quoi que ce soit… je pleurniche à moitié en disant que je veux voir mon Lapinou… et je me nettoie la figure encore et encore avec ma petite lotion lactée dont j’aime tant l’odeur! Je fais des promesses totalement irréalistes à Igor en lui disant que l’on ne fera plus jamais de sommets… le mal d’altitude attaque les neurones, c’est bien connu!

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On, enfin, je dors pas si mal dans cette tente si penchée… j’écrase littéralement Igor pendant la nuit!

Et le lendemain, on tente la montée au camp 3… mais vu la météo de m… on ne prend qu’un sac de jour pour faire un aller-retour et redescendre dormir au même endroit! Ouf, pas de trop de sacs à faire et défaire! Il neige… on monte doucement… dans la neige, sur la neige… tout est blanc! On arrive à 5800m, petite pause et je dis a Igor… hummm, je pense qu’il faut que je redescende vite, ça va moyen… 10 minutes après, je vomis… on redescend au camp 2 à 5400m et je m’étale comme une masse dans la tente… l’estomac à l’envers et la tête dans un étau… Igor joue l’infirmier parfait, il n’est absolument pas malade le veinard. On est plusieurs dans le groupe à souffrir, ça fait partie du jeu quand on monte aussi haut… normal… je me sens un peu mieux en fin de journée… on passe la nuit là et on redescend au camp 1 le lendemain… débutants que nous sommes… on avait oublié de mettre nos gourdes dans une doudoune pour éviter qu’elle ne gèle dans la nuit… on n’aura rien à boire dans la descente, tout est gelé… et comme on se lève super tôt à chaque fois, on ne prend que des gels ou des barres de céréales comme repas… autant vous dire qu’on ne peut plus les voir en peinture assez vite!

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Redescente dans la même journée jusqu’au camp de base… 3 nuits de repos en bas, ça nous fera le plus grand bien! On profite de la douche chaude… pipi de chat mais bien chaud, douches installées dans un container sans séparation entre les douches hommes et femmes! Ok, on est si peu de femmes mais bon…

On perd aussi une bonne moitié du groupe qui abandonne après ce premier essai… Nous ne serons plus que 8 mais toujours avec 5 guides, grand luxe!

Et c’est reparti pour THE sommet!!!! La météo n’est pas trop mal… pas trop de vent annoncé, un peu de nuage mais ça devrait le faire… on est optimistes, il le faut!

Montée au camp 1, 4300m… on connait la musique maintenant… réorganisation des sacs, grrrr….
Montée au camp 2, 5400m… même pas malade! Easy!
Montée au camp 3, 6110m… yesssss… toujours pas malade!!

La montée au camp 3… deux petites pentes a 40%… encordés, on monte…. TRES doucement… 40% au-dessus de 5000, sérieusement!! Il faut aimer ça, mais vraiment aimer ça! Voire être un peu masos, on reconnait…
Mais, le camp 3, quand même, c’est déjà un sacré exploit!! … la, on respire doucement quand même… les jambes sont lourdes, lourdes, lourdes… il fait un temps pourri… tout est blanc…

On nous assigne une petite tente pour 3 mais le sol est une véritable cuvette… hop, nos guides la soulèvent et mettent la plateforme de neige à plat à grands coups de pelles… Merci les gars! J’aurais été bien incapable de faire un tel effort maintenant!

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La mission du jour s’impose alors… faire fondre de la neige pour avoir assez d’eau dans nos gourdes demain…
Demain? Le sommet!! 9 heures de montée… 3-4 heures de descente… si tout va bien!! Une bonne journée en perspective… la météo n’est pas prometteuse mais on y croit!

Petit réchaud, petite casserole.. ça fond, ça fond, ça fond.. il vente, il neige… ça prend des heures et des heures… les bouteilles se remplissent tout doucement et on les stocke dans la tente pour éviter qu’elles ne regèlent trop vite, la bonne blague!

On émigre dans la tente pour continuer notre mission de fonte de neige, le soleil commence à descendre et le thermomètre avec…

Entre deux casseroles de fonte de neige, on se fait un merveilleux plat lyophilisé… purée-aligot à 6110 mètres d’altitude… ça passe très bien pour nous 3! Ouf! Merci le Vieux Campeur!

Vers 21h, extinction des feux… blottis tout habillés dans nos duvets et serrés comme des sardines dans notre mini tente, on tente de dormir… la température descend largement en dessous de -20 pendant la nuit…

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2 heures du matin…. Réveil…

Igor met bien 10 minutes à ouvrir la tente, on est complétement enfouis sous la neige… c’est sérieusement tombé en quelques heures… au moment où il ouvre enfin… énorme bourrasque… Le vent est toujours aussi violent, on ne le sentait plus tellement la tente était engloutie sous la neige.

Ok, laisse tomber, on referme… inutile de se lever… c’est impossible avec une telle météo…

On se réveille finalement vers 6-7 heures du matin… et là, c’est l’extase… les nuages sont redescendus, Lénine est à notre droite, fier et totalement dégagé (à peine énervant…)… le vent souffle méchamment… mais wow….

Ah ouais, c’est pour ça que l’on a fait tout ça… c’est… beau!!

On savoure cette lumière magnifique, les montagnes côté tadjique (on est sur la frontière), le sommet qui parait si près… c’est comme si on volait!

A l’abri dans nos super doudounes, on n’a même pas froid si on se met dos au vent… moment magique ou tout n’est que beauté absolue!

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Et non, on ne peut pas se lancer pour le sommet maintenant, c’est trop tard… on redescendrait à la nuit et c’est bien trop dangereux… et le vent est bien trop fort aussi, de toutes façons…

On attend le bulletin météo de 8h pour savoir ce qu’ils annoncent pour le lendemain… pire…

La décision est prise, on redescend, le charme du camp 3 ne nous invite pas vraiment à y trainer 3 jours de suite… On fait quand même un tour en haut du pic Razdelnaya… à quelques centaines de mètres du camp 3, 6148m. On sera montés à 6148m, pas mal pour un début! Молодец!!

Merci Lénine… une magnifique aventure…

NB. Plus personne n’a réussi à atteindre le sommet au mois d’aout, la météo a été trop violente cette année… pas de regrets…

Toutes les autres photos de l’expéditions

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Fondateur du site Un Monde d'Aventures, je suis un passionné des grands espaces sauvages et des mondes polaires. J'ai réalisé plusieurs raids autonomes au Groenland et en Laponie. J'aime partager ma passion à travers ce site. Voir tous les articles écrits par François - En savoir plus sur François

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