Bonjour Thierry Donard, vous sortez aujourd’hui un nouveau film « Imagine : life spent on the edge », on y retrouve des exploits incroyables réalisés par les plus grands sportifs au monde. Vous qui êtes un pur produit de la nature et du sport, comment vous est venu cette passion pour le cinéma ?
On peut dire que le cinéma existe chez moi depuis toujours. J’ai fait mon premier film à 12 ans ! Même si ce n’était qu’un film animalier, ma passion pour le cinéma était déjà réelle à l’époque. L’année d’après j’ai eu la chance que l’on me prête une « Beaulieu super 8 », le must des caméras de l’époque, et là j’ai fait mon premier film de ski.
Mais ce qui m’a fait continuer ce métier c’est une rencontre. En 1978, Dick Barrymore, réalisateur Américain célèbre pour ces films sur le ski, débarque à Chamonix pour tourner son film « Wild Ski ». Je faisais alors parti d’un petit groupe de skieurs avant-gardistes qui représentait la « nouvelle vague » en termes de ski extrême. Dick Barrymore a très vite pris contact avec nous pour nous filmer. Le problème est que j’avais 17 ans et, n’étant pas majeur, je ne pouvais pas légalement apparaître dans son film en tant que skieur. Alors j’ai triché ! Je me suis fait prêter une voiture pour arriver au volant sur le tournage le premier jour. Ainsi, Dick Barrymore fût tellement persuadé que j’étais majeur qu’il ne m’a jamais posé la question de mon âge ! J’ai ensuite travaillé pour lui pendant les 10 années qui ont suivi, c’est là où j’ai vraiment appris le métier de réalisateur.
« La Nuit de la Glisse » s’est montée ensuite avec une bande de copains skieurs et surfeurs. Le premier film que j’ai réalisé pour ce label est sorti en 1984.
Le film est un savant mélange entre documentaire et images fortes de sports extrêmes. Est ce que ces 2 facettes représentent pour vous un équilibre pour le format de vos films ?
Oui. Depuis mon premier film j’ai passé beaucoup de temps au contact du public, j’ai beaucoup écouté ce qui m’a toujours permis d’innover, d’apporter constamment des faits nouveaux, des techniques nouvelles.
Je ne me sentais pas à contre-courant des phénomènes de mode – ce qui était pourtant le cas – mais seulement à la recherche d’innovation perpétuelle pour répondre aux attentes du public. Je pense que c’est pour cette raison que mes films ont emporté un tel succès. Le but était de montrer des actions humaines fortes portées par des histoires humaines fortes. Cela rendait mes films beaucoup plus émotionnels et permettait au public de s’identifier aux skieurs, aux riders et de partager leur ressenti.
Vos « riders » ces hommes et femmes qui risquent leur vie tous les jours pour leur passion se confient librement devant votre caméra. Est ce que le dialogue est facile avec eux ? Est ce que parler de la vie, de la mort, de la limite est tabou ?
Parler de la mort fait parti du quotidien de ces hommes et ces femmes. Le sujet est toujours évoqué très naturellement car très il est récurrent. Tous mes riders savent qu’en réalisant de tels exploits ils risquent de mourir à chaque instant et cela n’empêche pas la plupart d’entre eux de remettre leur vie en jeu tous les jours.
En revanche, ce qui est difficile pour eux est d’exprimer leurs émotions. Ce sont des personnes en générale très profondes, mais pas du tout habituées à se dévoiler. Ils pratiquent un sport pour leur passion et ne sont pas habitués à se vendre, à communiquer sur leurs exploits. Ce sont des puristes, des « soulriders », leur seule quête est celle des émotions, des sensations. Le plaisir indescriptible qui en découle est leur unique récompense.
Dès lors, je parviens à leur faire extérioriser leurs sensations en les plongeant dans un certain climat de confiance puisque je partage leurs passions. Et c’est là, grâce à ces parties d’interviews, que le spectateur peut comprendre toute la magie et l’exaltation procurées par ces sports.
Qu’est-ce qui motive un WINGSUITER* à raser le sol d’une montagne à une vitesse de 280km/h sur plusieurs dizaines de mètres ? La seule réponse qui puisse être apportée est que la sensation de plaisir atteinte à ce moment précis est tellement intense qu’on est prêt à tout sacrifier pour la saisir.
Plus intéressant encore est de découvrir cet état de « dépassement de ses limites physiques » dans lequel les riders sont plongés lorsqu’ils sont dans l’action. Cet état est proche de celui atteint par certaines techniques de méditation dont celle des moines bouddhistes marchant sur des braises sans ressentir aucune douleur. On découvre que les situations extrêmes dans lesquelles mes riders se trouvent, aux moments les plus risqués, permettent à leur corps, à leur sens d’accomplir des choses impossibles à réaliser dans un état normal. Chaque sens, chaque mouvement bénéficie d’une efficacité, d’une acuité supérieure à la normalité. Cela s’appelle le « Flow » et les riders le décrivent dans le film chacun à leur manière pour le faire partager au public. Ces interviews rendent par la suite les images extrêmes beaucoup plus poignantes et intelligibles pour les spectateurs.
Quels sont les zones géographiques où est tourné « Imagine : life spent on the edge » ? Est ce que ces endroits sont particuliers pour vous ? Pour les riders ?
Pourquoi les avez-vous choisis ?
En premier lieu, chaque endroit est choisi en fonction des conditions atmosphériques. Par exemple pour le ski, nous allons là où la neige tombe, tout simplement. Cette année les conditions dans les Alpes ont été incroyables. Toutes les images de ski ont donc été filmées à Chamonix et dans les Alpes sauf certaines images de Matt Annetts (Snowboard) où nous nous sommes déplacés à Jackson Hole dans le Wyoming.
Pour filmer les exploits de surf, stand-up paddle et kite-Surf nous sommes partis 2 mois à Tahiti ; de façon très précipitée d’ailleurs, pour rencontrer un Swell* venu d’Antartique. Nous avons donc bénéficié de vagues exceptionnelles pour le tournage et avons même pu filmer quelques baleines, qui se servent du courant produit par les swells pour leurs migrations !
Le second critère de choix est bien sûr la beauté des paysages. Nous utilisons au minimum l’hélicoptère, mais lorsque nous le faisons c’est pour donner aux spectateurs la chance de contempler des merveilles naturelles du monde dans une vue d’ensemble. Les images de paysages présentes dans « Imagine » sont tout simplement époustouflantes. Filmer la nature dans ce qu’elle a de plus beau et de plus fragile est une volonté, c’est notre façon à nous de faire passer le message qu’il faut la préserver. De plus, les énergies que les sportifs utilisent sont toutes des énergies naturelles : le vent, les vagues, le courant… Le film tout entier tend à prouver que la nature est précieuse et qu’il faut la protéger pour vivre en harmonie avec elle.
Parmi les disciplines présentes dans le film vous en avez pratiqué la majorité. Quelles sont les disciplines qui vous ont procuré le plus d’émotions ? Par quels moyens faites-vous partager ces sensations à vos spectateurs ?
J’ai été un des pionniers du ski extrême dans le monde dans les années 80. Mes disciplines de prédilection étaient le ski base, le ski extrême, le sky surf et le surf. Cela influence énormément ma façon de filmer. Par exemple, lorsqu’un rider s’élance à skis, je sais que chaque instant, chaque exploit est unique et que chaque prise doit être optimum car il est impossible d’avoir la même prise une seconde fois. Je parle beaucoup avec mes riders également : ils m’expliquent ce qu’ils vont faire et comment ils vont le faire et je sais instantanément comment les filmer pour avoir l’image la plus spectaculaire, le meilleur angle, la sensation la plus forte. Être caméraman et réalisateur dans des conditions aussi extrêmes que celles des tournages « Nuit de la Glisse » demande de toutes façons d’être sportif soi-même !
Vous avez collaboré avec QuickSilver pendant plusieurs années et avez contribué humblement au succès de cette marque. Récemment vous avez décidé de créer votre propre griffe « Perfect Moment ». En quoi cette marque représente-t-elle votre vision du sport ?
« Nuit de la Glisse » a importé Quicksilver et a permis à cette marque Australienne de s’imposer en France grâce à un support médiatique fort. Lorsque mon chemin s’est séparé de celui de Quicksilver, je n’ai pas voulu que d’autres marques de vêtements puissent m’imposer leurs sportifs, leur vision. La « Nuit de la Glisse » c’est l’histoire de puristes, de personnes qui sont en dehors de la sphère commerciale et c’est pour cela que les films sont intéressants, rares.
En créant ma marque, je construisais un sponsor en cohérence avec la philosophie de mes athlètes, la vision de mes films et en plus j’avais le pouvoir d’apporter une plus grande créativité dans cette industrie des vêtements sportifs. « Perfect Moment » c’est une marque qui symbolise le plaisir du sport à l’état pur. Les vêtements sont techniques mais s’affranchissent des codes du milieu, tout comme les riders ! L’état d’esprit est le même et la marque a de beaux jours devant elle.
Être un homme de passions comme vous, est-ce que ça aide en amour ?
(rires) Pas du tout ! Ma passion m’impose un style de vie pas vraiment évident à suivre. En effet, filmer des surfeurs des heures durant, debout sur un bateau sans cesse secoué par des vagues énormes, ou partir filmer des pics neigeux dans des conditions de froid extrême n’est pas ce qu’il y a de plus agréable à faire ! Ma passion est une passion difficile à faire partager. Les sports extrêmes, la nature, le cinéma : c’est ce qui me plait, c’est ma vie, mais ce n’est pas forcément de goût des gens que j’aime ! Alors je m’adapte !
Qu’est ce qu’on peut vous souhaitez pour l’année à venir Thierry Donard ?
En une phrase : des conditions aussi exceptionnelles pour mon film 2014 que celles que j’ai eues pour « Imagine ». Nous avons réellement été très chanceux cette année, les éléments nous ont offert les meilleures conditions possibles pour la pratique de nos sports. Nous avons capté des images magiques, la nature nous a fait de véritables cadeaux. Je n’ai pas peur de dire que c’est le meilleur film que je n’ai jamais réalisé et j’espère que celui de l’année prochaine sera encore meilleur !
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- WINGSUIT : sport consistant à « voler » en sautant d’une falaise grâce à une combinaison adaptée pour planer le plus longtemps possible en épousant le relief du sol à quelques dizaines de mètres de haut)
- SWELL : fortes ondulations de l’océan créées par une perturbation au large.
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François
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