Mada Gliss, la 1ère descente en paddle du Canal des Pangalanes (Madagascar – Mai 2018)

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Mada Gliss, c’est la 1ère descente en paddle du Canal des Pangalanes, une aventure solidaire en Madagascar réalisée par Romain Deslandres et Anaïs Valière en Mai 2018.

Mada Gliss, une expédition à double face

Une aventure : explorer un des écosystèmes les plus riches de Madagascar, membre des 17 pays Mégadivers de la planète. Et pour la 1ère fois, descendre ce canal en paddle, un moyen de locomotion propre et silencieux

Un engagement social : apporter de l’aide matériel et humaine tout au long du parcours dans les villages les plus isolés

Carnet de voyage

Voici le compte-rendu du projet sous la forme d’un carnet de voyage réalisé par Romain (tous les crédits photos : Romain Deslandres et Anaïs Valière)

Partis le lundi 30 Avril à 9h45 de Manambato, nous bouclons l’expédition Mada Gliss le lundi 21 mai à 9h30 après 21 jours de navigation.

Nous aurons finalement mis une semaine de moins que prévu pour abattre les 370 km si l’on compte les petits détours improvisés- bien que nous ayons pris le temps que l’on souhaitait sur chacune des 4 grosses étapes.

16 jours de navigation – soit une moyenne de 23 km par jour pagayé, 5 jours de halte / ravitaillement, 7 écoles visitées, 2 dispensaires, 1 orphelinat, 4 piroguiers différents, seulement 2 matinées de pluie !, du soleil à gogo, pas une seule fois malade, jamais la sensation d’être en insécurité, des rencontres souvent brèves mais si simples et combien authentiques, et bien évidemment des images de ce spectaculaire canal des Pangalanes qui ont illuminé nos rétines et qui marqueront à jamais nos cœurs.

La qualité de notre équipement a grandement contribué à la sérénité éprouvé tout au long de cette expédition. Difficile de dire combien nous sommes reconnaissants à Pierre-Yves Hocké, le fondateur de la marque FoolMoon de nous avoir fait confiance et offert 2 magnifiques board (la X-Moon 12.0 et la Mékong 10.8) qui se sont montrées d’une stabilité et d’une fiabilité étonnante tout au long de la descente.

Un record journalier de 33 km pour 8h de rame dans des conditions compliquées de vent et de courant récalcitrants.
Une minimale de 15 km lors d’une navigation d’à peine 2h lorsque l’on quitte Mahanoro à 14h30 le jeudi 10 Mai.

L’aventure Mada Gliss en tant que telle n’aura duré que 3 semaines et pourtant nous avons l’impression d’y avoir passé 2 mois tellement ce voyage aura été riche à tous points de vue.

1ère étape : Du 30 avril au 3 Mai

MadaGliss s’est lancé sur le Canal des Pangalanes depuis Manambato le lundi 30 avril, accompagnés de 2 jeunes gaillards Todzi et Liva qui assuraient le transport de l’aide ! 4 jours, 80 km parcourus.

Et quel départ ! Salués par un soleil radieux qu’aucun nuage ou rafale de vent ne vient perturber, nous plongeons sans transition au cœur de ce que le célèbre canal propose de plus beau.
A peine avons-nous quitté le lac Rasoabe sur les bords duquel se trouve le village de Manambato, que nous voilà glissant sur une eau translucide dont le fond à 4-5 mères se détache nettement, longeant des rives à la végétation luxuriante.

Et pour achever de nous conquérir dès le 1er jour, les Pangalanes dévoilent en début d’après-midi l’une de ses nombreuses embouchures idylliques qu’on s’empresse d’aborder pour y poser notre premier bivouac. En guise de cocktail de bienvenue, des goyaves à profusion et un coucher de soleil dont les couleurs teinte la végétation et la surface de l’eau d’une teinte orange enflammée.

Le 3ème jour, visite de notre première école situé dans le village d’Amboditafara, accueil assez solennel des enseignants mais très chaleureux des enfants qui s’agitent autour de nous et ne manquent pas de nous réciter les quelques mots qu’il connaissent du français. Les villageois n’ont pas vu de vahaza (blancs) depuis au moins 3 ans !

Les 3 jours suivants n’ont pas tous été de tout repos. Le 4ème et dernier jour de cette 1ère étape, nous nous retrouvons dès 8h du matin à pagayer sous une pluie battante et luttons contre un vent de face qui fait chauffer nos petits bras ! La traversée d’un grand lac sur lequel le vent soulève des

vaguelettes m’oblige à arrimer Anaïs qui malgré des coupes de pagaie rageur, ne peut empêcher son paddle de reculer…

Passés cette dernière épreuve, nous posons notre barda à Vatomandry chez Kong Kong, une légende du canal ! Petit break mérité d’1 journée avant de poursuivre notre descente jusqu’à Mahanoro, prochaine étape. Départ demain matin avec une nouvelle équipe !

2ème étape : 5 Mai

Varomandry – Mahanoro, la 2ème étape principale de notre périple, la plus courte mais la plus exigeante physiquement.

Les 2 jours passés chez Kong Kong nous ont requinqué, surtout côté culinaire à tel point que l’on reprend la descente le ventre un peu trop rempli, limite un peu vaseux… Mais l’éclatant soleil qui salue notre départ nous replonge vite dans le Mada Spirit du canal.

Plus nous avançons, plus les paysages gagnent en beauté ponctué de rencontres aussi furtives que chaleureuses avec des locaux invariablement souriant et curieux de ces 2 étrangers dressés sur leur étrange esquif.

Après 15 km, à la sortie du village de Maintinandry nous déboulons dans une embouchure a la beauté irréelle où bancs de sables immaculés, eau translucide et végétation luxuriante en font sans aucun doute l’un des joyaux des Pangalanes.

Hypnotisés par le spectacle que la nature daigne nous offrir, nos repères traditionnels explosent, nos esprits littéralement s’envolent.

2ème étape : 6 Mai

Si le canal sait se montrer généreux, il donne aussi du fil à retordre.

Nous en faisons les frais le lendemain non sans en avoir été préalablement informés. On nous a répété que ça passait difficilement sur 500-600 mètres mais ce qui nous attend dépasse ce que l’on avait imaginé. On s’attendait à trouver des hauts fonds recouvert de jacinthes d’eau ou nous pensions n’avoir qu’à « tirer » paddles et pirogues. Nous voilà en réalité à jouer les funambules sur d’étroits passages frayés par les piroguiers locaux à travers les jacinthes, passerelles aussi ridicules que fragiles à moitié immergées et dans les lesquelles nous nous enfonçons jusqu’au torse plus d’une fois sans jamais toucher le fond.

Après 6 tronçons de cette jouissance inattendue, plusieurs piqûres de bestioles aquatiques invisibles, quelques coupures aimablement laissées par la végétation comme signe de gratitude de notre visite, nous nous sortons au bout de 2h des griffes de ce petit enfer pangalanien… L’aide de 2 jeunes malgaches du village près duquel nous avions campé la veille s’est révélée indispensable.

La joie d’en avoir fini est vite tempérée par l’annonce du piroguier qui sonne comme un coup de semonce « Misy voay ati », comprenez « il y a des crocodiles ici » c’est à dire sur les 20 prochains km… C’en est finit provisoirement de nos petites trempettes au milieu du canal pour rafraîchir la machine mise à rude épreuve par un soleil insistant à cette époque de l’année. Pas question non plus de laisser traîner une main ou une jambe dans l’eau.

Me viennent aussitôt en tête les récits de mon livre du moment « Les Pangalanes, le cimetières des caïmans » écrit par l’aventurier Henri Duclos narrant les premiers pas des blancs sur le canal et les attaques féroces des sauriens sur les ouvriers du chantier. Pas franchement rassurant…

2ème étape : 8 Mai

Après notre pause bucolique chez René la pipe, un phénomène aussi généreux que farceur, nous réembarquons sur nos paddles pour une grosse journée ; au programme 5h de navigation pour environ 20 km à abattre.

Côté météo, les conditions sont plutôt favorables, un vent de face mais de faible intensité et un soleil chaleureux nous accompagnent. La détente n’est cependant pas totale, à nouveau nous traversons une zone ou potentiellement des crocos peuvent nous faire profiter de leurs écailles et la traversée sur plusieurs kilomètres d’un passage étroit bordée d’une végétation qui recouvre en partie le canal à la manière d’une tunnel, jette une ambiance aussi mystique qu’inquiétante.

Arrivés au terme de notre session, de belles pelouses verdoyantes nous tendent généreusement les bras. Mais la présence d’une grosse bourgade nous pousse à quelques coups de pagaie supplémentaires alors que le vent de face se renforce et que l’on dépasse les 15h. Nous posons finalement pied à côté d’un petit village, Ambilabe, 1h plus tard. Nous ne sommes plus qu’à 14-15 km de notre 2e grosse étape, Mahanoro, qui elle même est à 208 km de notre destination finale.

Avant de quitter le village, passage par l’école ou les élèves au garde à vous nous réservent un accueil digne de véritables diplomates.

Nous venons de passer notre dernière nuit avec Fred, piroguier de 54 ans (qui en faisait davantage 65) fin comme une allumette et déployant une force détonante pour son âge. La puissance pour tirer a travers les jacinthes 3 jours plutôt nous a littéralement scotchés ! Il embarquera malgré lui un souvenir de ses 2 clients, notre bâche que nous lui avions prêtée pour protéger ses nuits de la pluie.

Nous n’avons que 3h de rame pour rallier Mahanoro. Cette partie du canal se révèle de toute beauté : la végétation continue d’étaler sa grande diversité, nous évoluons à travers de multiples pièges traditionnels, véritables haies de bois érigées sur toute la largeur du canal pour piéger poissons et crevettes et qui confère à cette section des allures de labyrinthe.

Grande 1ère, Anaïs se risque à sortir debout sur son paddle son super joujou Lumix pour immortaliser quelques panoramas et s’éclater au milieu des nénuphars !

On se régale et la météo fait le reste, en plus d’un bon vent du nord, nous avons le courant avec nous et filons droit vers notre 2ème vraie douche après 10 jours de voyage.

3ème étape : 9 Mai

Arrêt aux stand express à Mahanoro. 24h pour refaire le plein de victuailles, enfin collecter ce que l’on peut car le choix est plutôt très restreint , réorganiser notre équipement et affaires personnelles pour réduire la charge à embarquer pour la suite, donner quelques nouvelles à la famille et rechercher un nouveau partenaire de voyage.

En cela nous sommes bien aidés par Eric, le patron de La Belle Plage, un petit hôtel très rustique mais à l’accueil et la gastronomie généreux qui justifient largement un petit séjour. Il nous dégote une pépite, un de ses collecteurs d’anguilles et de poissons dont il fait le commerce sur Tana et Tamatave. Nantenina parle très peu français mais il le comprend et surtout il a envie de participer à l’aventure Mada Gliss. Bâche, frontale, panneaux solaire, imper… il est presque aussi bien équipé que nous !

Nous quittons Mahanoro assez tardivement à 14h30 (sachant que sous ces latitudes à cette saison il fait nuit noire à 17h30) pour rallier Salehy. Portés par un vent favorable, grisés par la beauté des rizières bordant le canal qu’irradie le soleil rougeoyant de fin de journée, nous abattons 15 km en à peine 2h. On dresse le campement sur une magnifique lagune.

Posés face au canal sous une voûte stellaire impressionnante, nous nous endormons bercés par le fracas incessant des rouleaux sur le versant océanique.

3ème étape : 10 Mai

Le lendemain, changement d’ambiance.  Le soleil joue à cache cache avec les nuages mais surtout on sait avant même de mettre les paddle à l’eau que la journée va être physique, le vent vient du sud ce qui signifie que l’on va l’avoir en pleine face une partie de la journée.

La veille nous avons parcouru 15 km en 2 heures, aujourd’hui nous mettrons 8h pour tout juste 33 km. De 7h30 à 16h30 (1h de pause à 13h), le vent n’a jamais cessé de nous fouetter le visage, la pluie s’est invitée à la fête, la traversée d’un lac a rendu l’amarrage d’Anais à mon paddle nécessaire afin d’éviter qu’elle ne dérive à l’opposé et surtout nous nous retrouvons depuis Mahanoro sur le périphérique façon east coast Malagache : toutes les 15 min en moyenne, nous croisons un tacatac -bateau brousse local qui transporte passagers, bétail et/ou fret en tout genre- et dont les vagues ne manquent pas de tester notre équilibre de paddlewan, à la manière de cow-boy sur leur taureau…

Mais l’effort n’aura pas été vain, nous atterrissons avec 1/2 journée d’avance au Pangalanes Forest Lodge, un petit havre de paix coincé sur la lagune entre canal et océan au cœur d’une des rares forêts primaires qui reste sur la côte est. Demain c’est repos, on l’a pas volé !!

À peine 2 jours après avoir laissé Mahanoro, nous avons clairement le sentiment que nous laissons derrière nous la section la plus « tranquille » du canal. Si les paysages restent invariablement hypnotisant peut être même davantage qu’au nord, s’en est terminé de la glisse tout en silence au milieu de piroguiers tout à leur pêche que seul notre irruption à bord de nos esquifs tout droit sortis de Suisse vient perdurer.

Toutes les 20 minutes, le ballet continu des tacatac, bateaux brousse aussi différents les uns des autres que les chargements qu’ils embarquent, vient rompre le silence religieusement entretenu par la nature et rider immanquablement la surface de l’eau.

Cependant, si il y a bien une chose qui n’a pas changé depuis notre départ de Manambato 13 jours plus tôt et qui ne cesse de nous étonner comme de nous réjouir, c’est la propreté remarquable du canal. Excepté aux abords des grandes bourgades -Vatomandry, Mahanoro- aucun déchet plastique ou conserve ne flotte ou ne souille la rive. C’est bluffant et à l’heure où il est si difficile de trouver des coins exempts de toute trace de notre société de consommation de masse, cette pureté nous enchante littéralement !

3ème étape : 12 Mai

Plage déserte, plongeon dans les rouleaux de l’océan indien, bonne bouffe mijotée par nos petites mains, sieste à l’ombre d’arbres centenaires de la forêt primaire… l’escale au Pangalanes Forest Lodge était un pur régal !

Côté environnement c’est du very all inclusive, côté prestation ça se réduit à l’hébergement mais pour nous un bon lit sous une moustiquaire et une couette , c’est du Grand luxe ! D’autant que nous sommes évidemment les seuls clients.

3ème étape : 13 Mai

Le kif n’est pas terminé, la météo et le canal continuent de nous régaler : on enchaîne 2 jours magiques !

Portés par le vent, nous évoluons dans une portion ou le canal s’élargit pour atteindre 400m et faisons une halte sur une lagune d’apparence idyllique que nous avions repéré sur notre map Google Earth. Nous attirons une fois de plus les pêcheurs de la zone, subjugués par ces étranges embarcations qu’ils découvrent pour la 1ère fois. On se laisse captiver par le retour toujours acrobatique des pêcheurs qui luttent contre les vagues avec leur allumette de bois pour rejoindre le plancher des vaches.

Nous arrivons pile poile pour le déjeuner à Masomeloka. On atterrit dans un petit resto très local. Discussion avec le patron, quelques blagues échangées avec nos voisins gasy d’à côté et délicieux café à volonté font remonter l’énergie en flèche.

On repart pour 1h de rame avant de poser nos valises dans ce qui s’apparente à une savane, un peu plus et on se croirait au fin fond de l’Afrique.

Journée standard : 4h30 de navigation, 21 km.

3ème étape : 14 Mai

Le lendemain, rebelote. Le vent se lève très vite et continue de souffler plein nord.

On s’arrête à 9h dans le petit village d’Ambalavontaka dans lequel nous provoquons une véritable émeute. Les élèves de la classe du directeur sont en folie, le matériel que nous leur apportons soulève de puissantes exclamations, l’appareil photo provoquent des fous rires et les grimaces d’Anaïs entraînent une véritable furie collective. Pas sûr que les professeurs des autres classes aient apprécié cet interlude autant que nos fans et nous.
Autant avec le directeur qu’avec les élèves, cet échange d’a peine une heure aura été particulièrement intense !

Le canal continue de se dévoiler et nous réserve de bien belles surprises : à certains endroits il se perd en méandres où chaque recoin héberge son petit jardin aquatique, à d’autres, vus de loin la végétation qui borde le canal nous transporte en France -la Vienne, la Loire ? – et nous finissons par l’étonnant lac Alanampotsy, petite mer intérieure qui héberge des plages de sable aussi blanc que dans le Pacifique sud.

Le vent particulièrement violent nous fait profiter de belles glisses sur les vaguelettes ainsi soulevées. Il nous oblige cependant à opter pour une petite crique légèrement abritée, incontournable si nous voulons pouvoir nous restaurer et installer le bivouac convenablement.

3ème étape : 15 Mai

Aujourd’hui 15 mai, nous voici arrivés à Nosy Varika où nous profitons enfin d’un accès internet pour vous inonder de nouvelles !

La matinée s’annonçait pépère, moins de 12 km à parcourir pour rejoindre Nosy Varika, 3ème et dernière grosse étape de notre périple, à 93 km de l’arrivée, Mananjary.

Mais la joie et la sérénité d’un lever de soleil oranger sur un ciel bleu limpide laisse rapidement la place à la concentration. Le vent favorable depuis 3 jours a tourné de 180 degrés, on apprécie tout de suite beaucoup moins les rafales de 30-40 km/h qui nous donnaient des ailes les dernières 72h. Les 2 km pour sortir du lac sont une solide mise en jambe, le claquement provoqué par chaque vaguelette sous la board sonne comme un coup de fouet nous forçant à ne relâcher l’effort sous aucun prétexte.

2h50 plus tard et un dernier coup de rame, nous glissons soulagés sur la petite de pelouse de l’hôtel Oasis accueilli par le maitre des lieux, Sergio, un chinois -si si- une bonne THB fraîche sur la table pour récompenser les efforts des aventuriers !

Nouveau ravito et décollage demain 8h pour le dernier tronçon ! On descend le Canal depuis maintenant 16 jours, chaque jour apporte son lot d’enthousiasme, d’effort, de contemplation.. Encore 6 jours pour continuer à vivre le rêve.

4ème étape : 16 Mai

Mercredi 16 Mai, nous mettons les voiles sur le Jungle Camp, une petite structure perdue au fin fond des Pangalanes au détour d’un des nombreux petits lacs de la zone.

Il est 8h20 lorsque nous donnons les 1ers coups de pagaie pour sortir de la petite crique de l’hôtel Oasis et regagner le fleuve principal. Nos espoirs d’une journée plus clémente que la veille sont vite douchés. Comme si le vent déjà bien fort -plein nord évidemment- ne suffisait pas, nous luttons contre un courant de 3 à 4 nœuds qui s’échine à nous ramener vers la grosse embouchure au bord de laquelle se trouve Nosy Varika.

Après 1/2h de rame debout, je rends les armes et suis obligé de pagayer assis comme Anaïs si je ne veux pas être trop distancé et surtout avoir la désagréable impression de faire du quasi sur place. On arrive à tuer 1h30 en passant les grands classiques de la chanson française en revue : moi en programmateur, Anaïs en chanteuse.

On a soit disant 5 km à parcourir avant de retrouver l’embranchement du canal mais après 3h de rame nous n’y sommes toujours pas… D’accord, les éléments sont contre nous mais se dire qu’on progresse à 1,5 km/h à peine est démoralisant ! Heureusement depuis quelques temps nous avons appris à mettre en doute les indications de distance comme les estimations de temps donnés par les locaux. Pour un malgache 100 m ou 2 km, c’est kif kif et dans les 2 cas il faudra compter 30 min. Bref, au moment de retrouver enfin le fameux bras, on estime que l’on a déjà bien parcouru 9 à 10km, notre Google Earth map imprimée le confirme, il reste incontestablement l’outil le plus fiable.

Autant Anaïs, stoïque, ne ménage pas son effort en plantant vigoureusement sa pagaie à droite à gauche 6h durant, autant je suis en lutte. Pour la 1ère fois depuis le départ, je n’ai pas de jus. Avouer que je me suis senti mieux est une douce métaphore. Une otite qui me chatouille l’oreille depuis 2 jours s’est renforcée et d’étranges courbatures dans les épaules et sous les omoplates handicapent ma rame. Souffrance !

Je pense alors à Mike Horn lors de sa traversée du cercle polaire arctique et les -40 degrés qu’il affronte seul durant 6 mois face aux vents contraires et aux grizzli. Haaaaa ça va mieux, à côté je suis en 1ère classe sur Air France !

Le ciel jusqu’alors bien nuageux s’éclaircit et les chaudes couleurs du milieu d’après midi prennent le relais jetant de très belles touches chaudes sur les lacs et la végétation exubérante qui forment comme une haie d’honneur avant notre arrivée au Jungle Camp.

C’est le moment de dire « Veloma » à notre troisième piroguier Nantenain.

4ème étape : 18 Mai

Retour sur le battant des lames après 1 semaine dans les terres.

Bras et épaules reconditionnés après cette halte d’une journée au Jungle Camp, nous levons l’ancre plus tôt que d’habitude -7h- pour tenter d’avoir 1 à 2h de navigation « tranquille » avant que le vent qui se lève tôt ne joue à nouveau les trouble fêtes.

Désillusion ! A peine sortis de l’enclave dans laquelle se trouvait notre petit hôtel et moins de 800m parcourus, nous nous retrouvons comme l’avant veille vent debout pour traverser le lac voisin. 1h de lutte contre un vent constant d’une bonne vingtaine de km/h qui ne faiblit jamais. Cela fait maintenant 3 jours d’affilée que ce vent insistant nous fait face et ce dès les 1ères lueurs de la journée. Une situation somme toute tout à fait normale mais que nous n’avions pas du tout anticipé lors de la préparation de l’expédition : nous rentrons dans l’hiver et les alizés font logiquement leur travail, vent du sud qui remonte toute la cote est de Madagascar.

Nous faisons halte vers 9h à Ambahy. Notre approche est aperçue de loin et au moment de toucher terre le comité d’accueil est tel qu’il est presque impossible d’accoster. Une bonne petite centaine de personnes se bousculent pour admirer ces 2 blancs juchés sur leur planche. Le plus heureux est sûrement le responsable du dispensaire à qui nous venons livrer un carton rempli de médicaments. À la fois médecin, infirmier, sage femme, ophtalmo il ne cache pas sa joie face à cette visite impromptue et cette petite donation qui a valeur de cadeau de Noël pour lui et son équipe.

Nous voyant acheter quelques provisions, ils tiennent à nous offrir des mofo gasy (pancake locaux) et de délicieuses petites bananes.
Le quai d’embarquement est noir de monde et nous devons jouer des bras pour pouvoir rejoindre nos paddle.

La rame reprend à travers un canal qui, par de larges courbes, serpente à l’intérieur des terres couvertes de rizières à bâbord comme à tribord. De vert foncé, marque d’un riz encore en croissance, au beige caractéristique du pied mûr, nous pourrions nous croire en Asie.

Arrive midi et moins de 3km à parcourir pour atteindre le site de bivouac sur lequel nous avons jeté notre dévolu. C’est à ce moment que le canal s’élargit et s’oriente vers l’océan, le vent s’engouffre littéralement dans cette autoroute soulevant de sacrées ondulations. Pas le choix, nous sommes obligés de nous amarrer pour éviter qu’Anaïs ne fasse marche arrière et ne retourne se vautrer dans le lit du Jungle.

Dans ces conditions, nous progressons à 3km/h à peine… L’effort produit pendant presque 1h est largement récompensé à l’arrivée, une magnifique embouchure bordée de part et d’autre de magnifiques langues de sable blanc à l’assaut desquelles se jettent d’énormes rouleaux sous un soleil radieux. Ironie du sort, le vent tombe complètement alors que nous venons tout juste d’installer notre tente à l’abri d’une petite haie de d’arbuste…

C’est semble t-il une coutume locale, mais ici les gens s’approprient le bien d’autrui en toute impunité. Nelson, notre nouveau piroguier, en fait les frais. Alors qu’il s’affaire à sa cuisine, il relève la tête juste à temps pour voir un pêcheur décoller avec son embarcation…

4ème étape : 19 Mai

Rebelotte.. À croire que le vent se joue de nous…

On active nos rames dès 7h15 mais ça souffle déjà.

Peu importe, le ciel nous a gratifié d’un lever de soleil digne d’un 1er matin du monde et après un petit déjeuner que nous pouvons qualifier de « copieux » étant donné ce qu’il nous reste, nous sommes chaud patate !

Et puis au moment de quitter le fleuve principal, le canal ne fait plus qu’une vingtaine de mètres de large et le vent se fait beaucoup moins fort.

Pour la 1ère fois depuis 4 jours, nous ne sommes pas en « lutte » et retrouvons l’extase de la glisse fluide qui paraît presque facile sous un soleil généreux. Les abords du canal sont toujours aussi beaux et les malgaches que nous croisons sur les rives ou dans leur pirogue avides d’engager de courtes discussions.

La suite et fin de la session est beaucoup moins réjouissante, comme la veille nous quittons le canal pour retrouver un fleuve large de plus de 200 mètres perpendiculaire à l’océan et dans lequel les alizés s’engouffrent tels le vent dans un canyon.
Nous faisons une pause au café du coin pour prendre quelques forces avant de se lancer à l’assaut de véritables vaguelettes de 30 à 40 cm qui déferlent littéralement. Anaïs arrimée à l’arrière ne ménage pas son effort au rythme du tam-tam de l’avant des paddle sur chaque crête.

Nous finissons par atteindre une nouvelle embouchure idyllique pour y passer l’après-midi et la nuit.

Situé à moins de 400 m d’un village, notre bivouac attire immanquablement les curieux et très vite une trentaine de gamins nous encerclent. Anaïs se lance alors dans un échange franco gache qui déchaîne une véritable folie. Nous en profitons pour donner une brosse à dent à chacun. Erreur, Anaïs disparaît presque sous l’assaut des gamins excités comme jamais !

La journée nous réserve une ultime surprise.. L’eau filtrée un peu plus tôt n’est pas aussi douce que la veille et nous nous en rendons compte au moment de déguster notre magnifique riz au curry, c’est écœurant de sel !! Même Nelson -notre piroguier- a du mal à finir sa part !

4ème étape : 20 Mai

L’arrosoir local donne de la voix pour cette avant dernière journée.

Nuit sous la pluie, matin qui rit. Bah ce sera pas notre cas !

Après un déluge comme nous n’en avons pas connu depuis notre arrivée, nous avons la désagréable surprise de découvrir a 5h45 que notre box en plastique qui héberge nos provisions est à moitié remplie d’eau…
Heureusement les dégâts sont limités : un paquet de pâtes, des biscuits salés et la poudre de curry. Qu’à cela ne tienne nous faisons marcher le commerce local et en profitons pour nous ravitailler en mofo gasy.

Il nous reste les 2/3 de l’énorme lac Mahela à traverser et vous vous en doutez, pas question que le vent ne nous fausse compagnie. Mais l’habitude étant prise, on ne se pose pas de question et avalons les 2,2 km sans broncher malgré une drash qui nous arrose copieusement.

Le ciel s’éclaircit pour nous permettre d’apprécier des berges verdoyantes tapissées de rizières parmi lesquels les ravenales jouent les épouvantails. Superbe !
Mais très vite les nuages se bousculent pour déverser leur semence droit sur nous pendant plus d’une heure. Ce n’est plus la douche, c’est un déluge à tel point que sur nos petits paddle on se croit vraiment sur une arche de Noé. On ne voit plus à 100m…

La pause forcée à Ampandimana est salutaire, nous nous réfugions sous une petite paillote en falafe de 6m2 qui accueille très vite une trentaine de personnes ! C’est double chauffage : café + promiscuité.
On se rend compte au moment où le mec à qui j’ai acheté la boisson vient récupérer ses tasses, qu’il est le directeur de l’école. C’est ce qu’on appelle être polyvalent. Bingo, c’est dimanche mais nous pourrons tout de même livrer la dernière fournée de matériels pédagogiques !

La pluie s’arrête, un peu de ciel bleu et nous mettons les voiles sous les regards d’un comité de départ qui doit bien réunir le quart du village…

Nous avalons 6km sur un véritable miroir pour rallier notre dernier lieu de bivouac, une petite prairie que surplombe un monticule qui servira de terrasse à notre logis.

4ème étape : 21 Mai

Tonga soa Mananjary! Ce lundi 21 Mai sous un soleil éclatant nous rallions notre destination finale.

Si nous avons le bonheur de retrouver le soleil après 24h d’un temps capricieux, nous n’en avons pas fini avec Dame pluie.
Alors que nous venons juste d’avaler notre dernier petit déjeuner sportif, le brumisateur naturel se remet en route. Nous accélérons le repli et mettons vite nos paddles en action.

Décidément, les Pangalanes pleurent la fin annoncée de notre aventure et tiennent à nous le faire savoir !

Tout venant à point à qui sait attendre, notre pari de la veille s’avère gagnant. Après 20 minutes d’une pluie généreuse, le soleil chasse rapidement la chape nuageuse inondant le canal et ses rives d’une chaleur qui réchauffe les cœurs. Nous sommes d’autant plus satisfaits d’avoir patienté jusqu’au lendemain que la dernière portion des Pangalanes est un régal pour les yeux. Comme s’il voulait résumer à sa manière nos 3 semaines de navigation, le canal semble avoir réuni sur 10 km toute sa palette florale et ses essences exotiques. Magnifique !

Dans des conditions que nous n’aurions même pas oser avoir en rêve 24h plus tôt, nous profitons avec déjà une pointe de nostalgie de chaque portion dans laquelle nous glissons religieusement nos pagaies.

A la sortie d’un ultime virage, le 1er pont de la ville de Mananjary – notre destination finale – se dessine 2 km plus loin. Ça y est ! Nous y sommes ! Le sourire jusqu’aux lèvres, nous savourons pleinement cette arrivée toute en douceur, le plaisir intense d’une aventure qui a dépassé notre imaginaire et la reconnaissance profonde pour les conditions uniques dont nous avons pu jouir de bout en bout !

Misoatra betsaka Madagasikara !(Merci infiniment Madagascar).

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