Laure Thirion a réalisé un voyage solidaire où elle a enseigné la danse aux enfants des quartiers pauvres de Rio de Janeiro en Septembre dernier. Elle a décidé de nous faire profiter de son témoignage avec l’article ci-dessous qu’elle a rédigé spécialement pour nous et qu’elle a accompagné de ses plus belles photos.
Rio de Janeiro, vitrine du Brésil, première ville inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco dans la catégorie « Paysage culturel urbain » depuis le 1er Juillet 2012, est l’endroit où j’ai choisi de me rendre pour réaliser un voyage un peu particulier. Dans mes bagages, pas de panoplie de touriste mais une tenue de danse, des CDs, un mini-dictionnaire « portugais du Brésil » et un petit carnet où sont traduits en mots et en dessins maladroits des échauffements, des chorégraphies et des idées de jeux ciblés sur l’éveil corporel.
Passionnée de danse, de voyage, de photographie et sensible au respect des droits de l’homme, mon projet est un condensé de tout cela, construit sur une recherche personnelle axée sur la relation possible entre la danse et les besoins des populations défavorisées victimes de carences sociales.
Je ne mentirai pas. Certaines associations ont des failles d’organisation qui peuvent parfois gâcher les meilleures intentions du monde, et cela est tellement dommage. J’en ai fait les frais dès le début, me retrouvant par exemple dans un lieu où j’étais censée travailler et où personne ne savait finalement qui j’étais ni quelle était la raison de ma présence. Réalisant assez vite les défauts de ce nouveau tourisme, je décide de dégripper les rouages de la structure organisationnelle en exigeant un lieu où je pourrais répondre à un réel besoin afin d’apporter une aide concrète aux populations.
C’est donc l’orphelinat «Santos Anjos Custodios» situé dans la banlieue pauvre au nord de Rio qui m’ouvre ses portes. On y accède après quarante minutes de métro depuis le centre de Rio, auxquelles s’ajoutent vingt minutes à pied depuis la station « Coelho Neto » sur la ligne de métro «Norte». Durant le trajet, défilent des centaines de favelas plantées sur les falaises : un paysage brut, laissé pour compte, oublié des gouvernements.
Curieusement, malgré l’influence des médias, les recommandations des sites Internet et des manuels touristiques conseillant d’éviter- je cite- «ces zones dangereuses », je n’ai pas peur. Est-ce de l’inconscience ? De la provocation ? Je n’ai pas ce sentiment. Je me dis que je ne suis pas la première bénévole à fouler cette terre et qu’il y a une raison à ma présence ici. Qu’elle soit purement statistique, logistique, ou encore mystique m’importe peu. Je suis là et c’est tout. Et pas une fois je ne ressentirai une once d’hostilité. Sur le mur bleu de l’orphelinat au-dessus duquel pendouillent des dizaines de câbles électriques, figurent le nom et la date de naissance de la fondatrice de l’établissement. L’émotion me serre le ventre lorsque je réalise que sa date de naissance est la même que la mienne. Drôle de coïncidence. Il paraît que ce que nous interprétons comme des hasards ne sont en fait que des rendez-vous. Quoiqu’il en soit, je le prends comme un petit signe que ma place est bien ici. Peut-être est-ce grâce à ces mystérieux concours de circonstances que je ne me sens pas en danger mais au contraire, protégée.
L’orphelinat est catholique, géré par des sœurs. Je suis charmée par les photos punaisées aux murs, les messages d’espoir postés comme des guirlandes, et par le mouvement des enfants qui courent dans les couloirs, le réfectoire, la cour extérieure. Ici les barreaux sont peints de toutes les couleurs, il y a de l’espace, une salle de jeu, d’études, une cuisine, de la végétation ; tout cela s’harmonise très bien et fait en sorte qu’on ne s’attarde pas sur le délabrement des bâtiments ni sur les quelques fenêtres grillagées.
Les heures que je passe en compagnie de ces enfants me confortent dans l’idée que dans toute entreprise, l’essentiel est de créer un désir chez l’autre. Un souhait. Un vœu. L’Envie de réussir quelque chose par soi-même. La danse est le matériau que j’ai choisi pour susciter cette envie parce que symboliquement, une chorégraphie ne s’exécute que pas après pas, avec du travail, de la patience, de la volonté. On souffre dans la danse, on transpire, on tombe, on se décourage, mais quand on se relève et qu’on réussit un tour, un élément technique difficile, quand on se libère, quand on s’oublie pour la musique, la forme recherchée, ou juste pour donner du bonheur et du rêve aux yeux plein d’émotion qui vous regardent, c’est tellement fort. Il y a quelque chose de l’ordre de la renaissance, une petite voix intérieure qui se remet à parler, une nouvelle petite lumière qui scintille au fond des yeux, un cœur qui bat plus vite. La danse participe au processus créatif, et toute créativité est une forme de résurrection. Eveiller un quelconque sentiment chez les enfants, que ce soit au final – et souvent après les frustrations du début – de la joie, de la confiance, ou de l’estime de soi, est ma récompense. Et ils me le rendent au centuple sans comprendre pourquoi, sans prendre conscience de ce qui a changé en eux à un moment donné.
La petite Bruna, belle comme un soleil, danse bien. Elle a le sens du rythme, s’amuse, virevolte, se déhanche sur un hit de Michael Jackson idolâtré. Fabiena ne tient pas en place, une vraie pile électrique. Impatiente de réussir la chorégraphie, elle court dans tous les sens, saute comme une gazelle et rit à gorge déployée dans une espèce de fièvre enfantine qui contamine les autres. Gabriella, boude, s’arrête quand elle ne parvient pas à suivre, verse quelques larmes puis recommence. J’absorbe toutes ces émotions comme une éponge, et sors des cours épuisée par l’énergie joyeusement dépensée. Je sais bien que rien ne changera dans leur vie après mon passage ici et ils le savent aussi bien que moi, mais les enfants prennent autant qu’ils donnent, ce que l’instant présent leur offre comme un cadeau. « Tia*!» m’interpelle Bruna, « te adoro» ! Moi aussi je les aime ces enfants dépouillés de tout sauf d’intelligence et dont les sourires me portent.
Pendant mon temps libre, je m’improvise photographe et visite Rio jusqu’à me perdre dans les recoins de son âme controversée. Rio et ses environs regorge de merveilles. Du pain de sucre au Corcovado où le vertige me prend devant l’immense baie de cette cité se transformant comme un prisme selon la lumière du jour, de la célèbre plage Copacabana à celle plus select d’Ipanema où il est bon flâner jusqu’à la dangereuse « Praia do Diabo »**, du joli quartier d’Urca au jardin botanique sans oublier la forêt Tijuca où le chant des oiseaux et la hauteur des arbres nous rappellent la proximité de l’Amazonie, le charme opère partout.
Me souvenir de Rio quand la cité s’allume petit à petit à la nuit tombée me donne encore des frissons. Toute photographie même réussie sera forcément réductrice. On dirait une myriade de petites lucioles prêtes à s’imprégner de l’énergie nocturne. Quant à la baie de Rio depuis le Cristo Redentor haut de 38 m et érigé par un sculpteur français, là encore je me rappelle avoir versé quelques larmes d’émotion devant tant de beauté.
Voyager autrement, que l’on appelle cela tourisme solidaire, responsable ou humanitaire, est une expérience très enrichissante. Humainement, culturellement et dans mon cas artistiquement aussi, aller à la rencontre des populations sans intention voyeuriste ni comportement misérabiliste est un pas qu’il est essentiel de faire si l’on veut s’immerger dans la culture du pays, en comprendre les mentalités, les croyances et les besoins.
Cette expérience m’a nourrie au point que je décide d’en faire un livre intitulé « Condansé », illustré de photos et parsemé de réflexions et de commentaires. Mais surtout, malgré les petits couacs organisationnels, cela m’a donné l’envie de renouveler l’expérience ailleurs, dans d’autres contrées, ou pourquoi pas de retourner à Rio afin de mettre en place un projet plus abouti comme former du personnel sur place par exemple. Il est évident qu’un tel voyage se pense, se construit ; il faut faire un effort d’apprentissage de la langue, arriver avec un programme adapté et ne pas être trop idéaliste. Tout ce qu’on entreprend ne change rien au monde, mais comme disait Ghandi, il est important de le faire quand-même…
* « Tia » signifie « tante », « tata » en portugais mais ici on peut aussi le traduire comme « sœur », « frangine » et y associer un lien fraternel, familial.
** « Praia do Diabo » : « Plage du Diable ».
Album des plus belles photos du voyage solidaire de Laure
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François
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