Il y a quelques semaines, Julien Haass alias « Julien à la bougeotte », rentrait tout juste de son aventure : une traversée de l’Ouest des États-Unis à pied, 4500 kilomètres de marche entre le Mexique et le Canada, en suivant pendant 5 mois le Pacific Crest Trail (PCT).
Nous lui avons alors posé des questions pour mieux comprendre son projet. Julien a eu l’amabilité de nous répondre afin de faire le bilan de ses cinq mois d’aventures pédestres.
(UMDA) Bonjour Julien, tu reviens d’une aventure de cinq mois de marche dans l’Ouest américain. Peux-tu nous présenter ton projet ?
(Julien) Mon projet a été de marcher la totalité du Pacific Crest Trail (PCT), un sentier de grande randonnée dans l’Ouest américain.
Ce chemin long de 4270 kilomètres démarre à la frontière du Mexique, traverse tous les Etats-Unis et se termine au Canada. Il traverse les états de Californie, d’Oregon et de Washington.
Mon objectif était de le réaliser northbound (du sud au nord) et de le faire en entier et uniquement à pied.
C’est ta première aventure de ce genre ?
Oui.
J’avais une expérience de la randonnée avant mais jamais sur un itinéraire aussi long.
C’est assez unique d’avoir une telle trace avec très peu de route et la possibilité dormir partout dans la nature.
Le PCT est mon premier thru-hike (randonnée de longue distance).
Tu as ce projet en tête depuis longtemps ?
J’ai découvert l’existence de ce chemin et du thru-hiking il y a environ 4-5 ans en lisant l’histoire de Sheryl Strayed dans son livre Wild.
Je n’avais pas trouvé l’histoire folle mais l’aventure de la marche longue distance s’est de suite planté dans ma tête. Et elle y trotte depuis.
Qu’est-ce qui en toi a été l’élément déclencheur ?
En août 2018, je bois un verre avec une amie. Je lui parle de ce rêve, de ce projet qui n’était encore qu’au stade de fantasme.
Elle me pousse à lui en dire plus, elle me dit que ça serait incroyable, que ce genre d’aventure me ressemble.
Je commence à sorti un peu de ma léthargie de rêveur. Je me dis que c’est possible. Que tout ce que j’ai rêvé, je peux le réaliser. Ce n’est qu’une question de choix.
Et puis le lendemain cette amie m’envoie un message qui dit quelque chose comme « si un appel ne cesse de faire du bruit, pas d’autre choix que de l’écouter ».
Je me suis dit alors « je vais le faire ».
C’est long de préparer un tel projet ?
Non.
Il est très difficile d’anticiper ce qui va se passer, ce que je vais vivre.
Il y a un peu d’administratifs avec l’obtention d’un permis (pour pouvoir dormir sur l’ensemble des parcs et du chemin) et d’un visa (car le visa touristique classique aux Etats-Unis n’est que de 3 mois).
Ensuite, il y a le matériel. Je regarde des forums, j’essaie de prendre des avis. Mais l’expérience de la randonnée longue distance n’a rien à voir avec le bivouac de quelques jours. Une toute nouvelle philosophie à adopter que je peine à anticiper. Je décide donc au dernier moment de matériel que je ne testerai que sur le trail.
Et physiquement je suis pas trop mal. J’envisage aussi d’utiliser le début de l’aventure comme entrainement. Marcher progressivement les premiers jours, ressentir. Je ne sais pas si aller courir et faire quelques balades ont un réel impact sur la préparation.
Avec le recul, j’aurai plus fait un travail d’étirements.
Comment a réagi ton entourage quand tu leur as présenté ton projet (famille, amis, etc …) ?
Je crois qu’ils n’ont pas de suite réalisé.
Quand j’en ai parlé à mes parents (je voulais qu’ils soient les premiers à l’apprendre), ils n’ont presque pas réagi. Ils ont toujours accepté mes « folies » et je crois qu’ils ont pensé que ce projet était un délire de plus. Quand ils ont vu les premières images et les premières vidéos ils ont compris et sont devenus mes premiers fans.
Quant à mes amis, ils m’ont toujours soutenu. Ils ont pour la plupart compris avant moi que cette vie d’aventure est moi. Je me sens chanceux des personnes qui m’entoure.
Je pense que mes proches ont senti que j’avais cette vie pour de bonnes raisons.
Comment as-tu décidé des différentes étapes de ton parcours ?
Pour moi, c’était simple. La direction était le nord et la destination le Canada.
Je déterminais mes étapes en fonction de la nourriture que je portais ou que je pouvais porter. En moyenne, 4-5 jours de nourriture. Le maximum a été 10 jours de couscous et de barres (dans les montagnes de la Sierra). C’était dingue.
Quand j’arrivais à un endroit où je pouvais me ravitailler j’étudiais la carte pour voir les prochains points de ravitaillement (des fois sur le trail, la plupart du temps hors trail) et je calculais le nombre de jours en fonction de la distance et du nombre de miles (kilomètres) que je pouvais ou que je voulais faire par jour.
Je n’anticipais pas. Etape par étape. Je savais très peu ce qu’il se passait au delà de la prochaine étape de ravitaillement.
T’es-tu autorisé quelques changements ou variantes par rapport au tracé initial ?
Non.
Sans être un puriste, je ne voulais pas faire d’écart.
Mon objectif était de marcher du Mexique au Canada. Et je voulais faire que marcher.
Je savais que si je commençais à avancer autrement, à faire des écarts, à supprimer des parties en cas de difficultés, il me sera facile de laisser tomber lorsque mon mental sera mis à rude épreuve.
La question s’est quand même posée en Californie centrale à l’entrée de la Sierra. Cette année fut une année à neige et il neigeait encore dans les montagnes en juin quand j’y suis arrivé. Tout était blanc, sans trace, avec des rivières à cru. Mais je me suis dit que si quelqu’un y aller, j’irai. Alors j’y suis allé.
Les seules fois où je sortais de l’itinéraire était pour rejoindre une route pour aller ravitailler.
Je faisais du stop jusqu’a une route, je faisais le plein de nourriture, des fois je prenais une douche puis je revenais à l’endroit même où je m’étais arrêté.
Tu es parti seul ? Pourquoi ce choix ? Comment as-tu abordé la solitude ? Pas trop dur ?
Je suis parti seul.
Déjà parce ce n’est pas évident de trouver quelqu’un pour aller se balader 5-6 mois et marcher plus de 4000 kilomètres 🙂
Et aussi parce que j’ai été attiré par la solitude et je voulais m’y plonger. Je voulais me retirer un peu du monde et aller à ma rencontre.
J’ai croisé des gens sur le chemin, j’ai passé un mois avec un groupe dans la Sierra (notamment pour la sécurité des traversées de rivière) mais j’ai passé la plupart de l’aventure seul.
La solitude agit comme une thérapie. Elle balaie ta vie, te remonte des souvenirs, des choix, des expériences. Elle te met face à qui tu es. Et tu ne peux pas fuir. Il n’y a pas un téléphone, une télé ou du bruit pour t’échapper. Tu es avec toi.
Ce n’est pas toujours simple mais j’ai pu faire la paix avec qui je suis, me connaître encore plus, savoir ce que je veux avec clarté et où je désire aller.
Si demain, je veux faire pareil, c’est quoi le mode d’emploi ? Tu as des conseils ou des astuces à nous donner ? Avec ton expérience, quels conseils apporterais-tu à quelqu’un qui souhaiterait faire la même chose ?
Sur le trail, il y a une expression qui dit « hike your own hike » (randonne ta propre randonnée) ce que je traduis par « il n’y a pas de vérité absolue, une réponse universelle ».
Je crois que chacun vit sa propre expérience avec ce qu’il est est et ce qu’il cherche.
Pour moi, la plus grosse difficulté de ce type d’aventure est mentale. Au départ, tout est beau. C’est la rencontre, la passion. Je suis en lune de miel. Puis vient la réalité de l’instant.
Je crois qu’il est important de se demander pourquoi on fait de telles aventures, pourquoi je suis là et qu’est ce que je suis venu chercher. Je crois que dans les moments difficiles ça peut aider à continuer à poser le prochain pas. Et dans ce moments de difficulté, ne penser qu’à ce prochain pas, ce prochain rocher. Ca aide à ne pas considérer l’immensité du chemin qui reste à parcourir.
J’ai également passé beaucoup trop de temps avant de partir sur des forums pour le matériel.
Je crois qu’aujourd’hui je partirai avec ce que j’ai et j’adapterai au fur et à mesure.
Je trouve qu’il est difficile de savoir ce dont j’ai besoin, la manière dont je vais marcher durant tous ces mois.
Pour mon exemple, j’ai changé ma tente au bout de 2 mois puis de sac à dos (je suis passé de 60 litres à 38 litres).
Ce n’est pas évident d’anticiper toutes ces choses et puis chacun évolue différemment durant ces mois d’errance.
Attention toutefois si tu veux partir léger, voire ultra léger.
Mon conseil est que si tu es ultra-léger tu dois être rapide. Car si tu es léger et lent, tu vas porter plus de nourriture et dépasser la limite de confort des sac à dos ultra légers.
En fait, le seul conseil est de suivre qui tu es et ce que tu veux.
Cette expérience n’est pas une course, pas une compétition.
Quel est ton plus beau souvenir de voyage ?
Je crois que mon plus beau moment aujourd’hui (il change tous les jours lol) est mon entrée dans la Sierra.
J’aime beaucoup l’environnement alpin, la moyenne montagne et les sapins.
Le début de la Sierra c’est tout ça avec la neige cette année. C’était juste incroyable. D’une intensité féerique.
Je marchais dans cet espace immense, sur la neige, entouré de montagnes et de d’arbres au tronc immense.
Je me sentais tout petit et en même temps dans une sorte d’osmose avec cette nature.
Et ton pire souvenir ?
La Sierra. Au bout de 2 semaines.
Après 2 semaines à marcher dans la neige, à se lever au milieu de la nuit pour marcher sur la glace et éviter une neige fondue, à traverser des rivières à cru, à se perdre car la neige recouvrait les traces, à glisser, à tomber dans des trous mon mental était bousculé. Même si je n’ai jamais songé à abandonner, tous les jours je me disais « mais qu’est ce que je fous là ? »
Et le danger, tu l’as rencontré ?
Je ne sais pas si je me suis senti en danger.
Aujourd’hui je n’en ai pas vraiment le souvenir.
J’ai eu des situations compliquées comme la traversée d’une grosse rivière à fort courant où je me suis senti entraîné ou encore certains passages de pass un peu techniques où je ne devais pas tomber mais j’ai toujours eu une sorte de confiance.
J’étais dans un environnement qui m’a demandé de l’humilité. Je n’ai jamais cherché la performance.
As-tu dû faire face à l’imprévu ? Si oui, comment as-tu réussi à y faire face ?
Je dirai que l’imprévu est une partie intégrante de ce genre d’aventure.
J’ai beau avoir une carte je ne sais jamais vraiment comment ça va se passer.
Il y a des endroits à contourner car des arbres sont tombés.
Je passe du temps à longer les rivières pour trouver le meilleur moyen de traverser.
Il y a la météo.
etc..
J’accepte.
Je me dis que je ne peux pas contrôler mon environnement. Tout ce que je peux contrôler est la manière dont je réagis. Alors j’apprends à être flexible.
Je crois qu’être rigide est le meilleur moyen pour se briser.
Ce que tu as toujours dans ton sac à dos ?
Le stricte minimum.
Quand on marcher pendant 5 mois, je peux assurer que chaque gramme compte 🙂
Dans mon sac il y a de quoi dormir : un tapis en mousse et un sac de couchage.
Je dors le plus souvent possible à la belle étoile mais quand ce n’est pas possible j’utilise une tente.
Il y a aussi un peu de vêtements (une doudoune, une membrane de pluie, un t-shirt manche longue, un collant thermique).
Je n’ai pas de sous vêtement et je porterai le meme short pendant 5 mois.
Quelques broutilles de toilettes.
Une batterie portable branchée sur un panneau solaire.
Quelques ustensiles (lampe frontale, cordelettes..)
Et mon sac de nourriture avec un petit pot pour manger.
Je n’ai pas de réchaud.
Comment s’est passé le retour à la réalité ? Pas trop dur ?
Je ne sais pas qu’est la réalité aujourd’hui.
Pour moi, cette aventure n’est pas qu’une parenthèse. Elle fait partie de ma vie, ma réalité.
Je ne souhaite pas vivre toute ma vie dans les bois mais je ne peux pas imaginer un avenir sans retourner marcher un chemin quelque part.
J’aime la danse de ces deux mouvements.
Mais la transition n’a pas été simple.
Surtout à mon arrivée à Vancouver où le bruit, le monde, les lumières furent beaucoup trop de stimulations d’un coup.
Mais je ne vis pas avec nostalgie.
Je suis fier de cette aventure et j’avance avec de nouveaux projets.
Je crois que c’est plus facile quand ce genre d’aventures s’inscrit dans une continuité, dans une vie et que l’on se nourrit de nouveaux projets.
Si j’étais rentré en France, pour travailler dans un bureau devant un écran , sans perspective d’une nouvelle aventure, je ne serai pas très en forme.
Que recherches-tu dans un tel voyage ?
Je ne sais pas si je cherche vraiment quelque chose.
J’y vais car ce type d’aventure m’appelle.
Je pars sur ce projet car je sens que c’est moi. C’est encore quelque chose de très difficile à définir.
J’aime être en mouvement, être itinérant, marcher.
J’aime la lenteur et la simplicité de la randonnée.
J’aime les rapports humains, simples et authentiques, que j’ai sur le chemin.
Je suis inspiré dans de tel voyage.
Et puis la nature.
Cette traversée est-elle un point de départ à d’autres challenges ? Au-delà de ce voyage, as-tu déjà d’autres projets en tête, d’autres voyages au longs cours du même genre ?
Comme je racontais plus haut, cette aventure ne sera pas qu’une parenthèse dans ma vie. Je ne le veux pas.
J’ai pu découvrir que c’est la vie que je souhaite mener désormais.
Je veux continuer à vivre des aventure et à les écrire.
Mon projet actuel est d’écrire un livre sur ce projet et sur la marche longue distance, ce qu’elle m’a apporté, sa poésie, ce qu’elle ma révélé.
Je ne veux pas écrire un simple carnet de bord mais utiliser cette aventure et la marche pour parler des sujets importants et profonds pour moi.
Puis d’’autres projets (à pied) se dessinent aussi progressivement.
Ce ne sont pas les idées qui me manquent.
Peut-être quelque chose de plus local.
Mais aujourd’hui je n’ai pas envie d’une autre itinérance qu’à pied (voire à ski). J’ai pensé un moment faire une traversée à vélo mais trop de route pour moi. J’ai envie d’une liberté totale et de pouvoir me perdre dans la nature et le sauvage.
A suivre 🙂
Merci d’avoir partagé avec moi des moments de ton aventure. Quelque chose à rajouter ?
Non. Je n’ai pas vraiment de conseil. J’essaie simplement de partager ce que j’ai pu vivre et découvrir.
Mais je finirai quand même par dire que ça vaut le coup d’aller chercher sa vie, ses rêves, qui l’on est.
Julien
Pour en savoir plus
facebook.com/julesalabougeotte
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François
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