Des aventuriers nous parlent de façon constructive de la tentative de la première mondiale française sur la traversée du Désert de l’Atacama en autosuffisance.

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Quand des Français tentent une première mondiale, forcément ça mérite une petite attention. C’est le cas de Charles Hedrich et Sylvain Bazin qui ont annoncé récemment une tentative de première mondiale française : la traversée du Désert de l’Atacama en autosuffisance.

Je suis depuis longtemps les aventures de Charles Hedrich. J’ai également rencontré récemment Sylvain Bazin avec qui j’ai longuement échangé sur cette aventure imminente dans le désert de l’Atacama. J’ai ressenti dans les propos de Sylvain un vrai engagement. On sent l’homme passionné.

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De mon côté, J’ai souhaité en savoir plus. Pour cela, j’ai interrogé des personnes ayant une certaine expérience dans les régions désertiques. Il se fait que dans ma liste d’amis Facebook, j’ai ce genre de profil. J’ai donc contacté Frédéric de Lanouvelle, Willy Minec et Louis-Philippe Loncke.

Même s’ils sont loin d’être des spécialistes, ce sont néanmoins tous les trois des personnes qui ont un peu d’expérience dans le domaine. Willy Minec et Frédéric de Lanouvelle ont, par exemple, déjà réalisé une traversée du désert de l’Atacama. Quant à Louis-Philippe Loncke, il a réalisé une traversée du désert de Simpson en autonomie complète du Nord au Sud en passant par le centre géographique. Ils savent donc, tous les trois, de quoi ils parlent.

Je les ai interviewé et ils m’ont autorisé à rendre publique leurs propos, leurs opinions et leurs commentaires.

Cet article est là pour poser les bonnes questions avec un regard différent. Finalement, dans ce document, la seule question qui reste est : mais où se situe exactement ce p#@&%* de désert ? 🙂

Frédéric de Lanouvelle

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Voici ce que m’a dit Frédéric sur leur tentative

Leur tentative me paraît assez bien pensé.

Je tractais en 2012 une remorque de plus de 200kg. Trop lourde et pas suffisamment adaptée au terrain sableux. J’avais 90 litres d’eau et du lyophilisé. Pas mal de matos pour tourner et monter mes sujets sur BFMTV. J’espérais tenir 25 jours avec recharge en eau dans une rivière en milieu de parcours.

Leur matériel à l’air plus résistant. Moins lourd. Cela étant, je pense que ça va être très très compliqué. Mais pas impossible !

J’espère de tout cœur qu’ils vont réussir. Je ne connais pas encore leur tracé exact.

Willy Minec

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Voici ce que m’a dit Willy sur leur tentative

La traversée du désert d’Atacama, comme toute expédition de cette envergure, nécessite une préparation minutieuse.

L’Atacama est bien le désert le plus aride du monde et le plus haut. Les climatologues disent de lui qu’il est le désert absolu. Un désert est hyper aride lorsque ses précipitations annuelles descendent sous 50mm, l’Atacama est à 0,8mm/an ! Certains passages sont bien à 4000m d’altitude (Tatio) mais la plupart du temps c’est 2300m environ.

Ce type de désert ne sous-entend pas qu’il est le plus chaud, bien au contraire. Nous sommes loin du désert du Taklamakan chinois ou du désert lybique où les températures sont les plus élevées. Ici ça tourne souvent autour de 40°C en pleine journée. Ainsi le fait qu’il ne soit pas « trop chaud » permet d’avoir une gestion d’eau moins contraignante. Dans le Taklamakan il faut bien compter 7L d’eau/jour en rationnement, pour le désert de Lybie c’est autour de 5L/j. Dans l’Atacama 3L/j passe en rationnement. De ce fait leur autonomie en eau semble correcte étant donné qu’ils ont un point d’eau à mi-parcours.

Un des problèmes de l’autonomie réside dans sa capacité à tenir sa moyenne de progression. Sur le plat on aligne les kilomètres mais le problème majeur ici reste les quebradas, ces canyons de rivières asséchées résultant de la fonte des neiges de la cordillère des Andes et s’écoulant jusqu’à l’océan. Ils coupent donc perpendiculairement leur parcours. Leur hauteur varie de quelques mètres à plus de 15m. Leurs flancs peuvent être à 30° comme du vertical.

Et là est tout le problème. Franchir ces quebradas sous-entend décharger le chariot, tout passer de l’autre côté et recharger. La moyenne de progression chute alors fortement. Pour 100m à vol d’oiseau on peut alors mettre 45 minutes. Plus je suis lent, plus je consomme mes réserves d’eau et de nourriture. Leur challenge va être de tenir cette moyenne sur 1 mois.

Je leur souhaite donc une bonne préparation et surtout bon courage !

Louis-Philippe Loncke

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Voici en synthèse ce que m’a dit Louis-Philippe sur leur tentative. Il a insisté principalement sur 4 points

Evidemment, bravo pour tenter cette aventure. Selon mes recherches, personne n’a traversé l’Atacama à pied et en autonomie complète.

1er point : Louis-Philippe estime que l’Atacama est plus grand que 1000 km et il donne ce qu’il croit être les limites objectives du désert

J’ai fait de brèves recherches sur l’Atacama. J’en avais aussi conclu que sans assistance, personne ne l’avait traversé à pied. Mais je me heurtais à un problème : impossible de déterminer la frontière au Nord et au Sud. Donc où commencer car au Nord, il y a toujours du désert.

Toutes mes sources n’ont pas les mêmes définitions pour déclarer de manière très objective les limites du désert. Pas facile de prendre une décision. Le risque avec internet (et surtout Wikipédia) est que le public croit dur comme fer à ce qui est écrit et n’a pas d’esprit critique.

Ce que je veux dire par là, c’est qu’il faut même se permettre parfois de douter ou de se faire sa propre opinion par rapport aux grandes institutions qui ont un pouvoir sur la géographie.

Comme les institutions ne sont pas forcément d’accord sur la longueur (début/fin) de l’Atacama. Ne vaut-il pas mieux prendre la plus grande distance possible ?
Il y a certaines personnes comme moi, qui ont cette opinion que les 1000km ne constituent pas (l’entièreté) de l’Atacama.

Pour moi l’Atacama irait de MAJES (50km à l’Est de Arequipa au Pérou) jusque Vallenar (sud de Copiapo). D’une zone très montagneuse jusqu’ à la côte à une autre zone très montagneuse. Si la montagne est considéré désertique (mais pas forcément Atacama) on pourrait partir de Pisco au Pérou et si on veut faire toute la région désertique de l’Est de l’Amérique du Sud, c’est Tumbes (près de l’Equateur, pays) à Valparaiso.

Je remercie GoogleMaps d’avoir amélioré ses cartes car en 2008 quand j’avais regardé les cartes, la définition ne m’avais pas permis de trouver MA CONCLUSION de situation de l’Atacama.

2e point : Louis-Philippe estime que leur point d’eau de ravitaillement doit être naturel pour que l’expédition puisse être qualifiée d’ autonomie

En mon sens, pour être en autonomie complète, seul trouver des vivres (cueillette, chasse) et de l’eau venant d’une source naturelle est autorisé (rivière, flaque, ruisseau, lac naturel…)

S’ils prennent de l’eau d’un puit construit par l’homme, pour moi ce n’est pas de l’autonomie. Pourquoi ? Imaginons un instant qu’au lieu d’avoir 1 puit, il y en ai 2 ou 50…à la limite, 1 puit tous les 20 km ? Cela rendrait l’expé possible sans avoir besoin de tracter de charrette (tout dans le sac à dos), moins éprouvante, plus accessible et donc probablement déjà réalisée par des athlètes, même en courant.

En conclusion, il est important de savoir si le puits qu’ils vont utiliser est naturel.

3e point : Louis-Philippe émet des réserves sur leur chariot qu’il juge pas si adapté que cela

J’ai été étonné de voir leur préparation. Faire du repérage c’est évidemment très bien et tester les différentes carrioles aussi. J’ai vraiment été étonné qu’ils aient tenté une poussette de golf et autres choses. Assez cocasse. Dans ce genre de déserts, avec un poids assez élevé (120kg ce n’est pas rien, j’en connais plusieurs qui ont dépassé les 200kg au départ).

Toutes les charrettes qui ont cassé et causé la fin de l’expé c’est parce que l’axe de roue se brisait ou les barres (rigides) de traction se fissuraient. Les multi vibrations et ressauts sur le terrain déchirent le métal au niveau du cristal du métal sous un tel poids.

 Le char à enfant est adapté je crois pour un salar comme Uyuni que je connais un peu. Mais pour l’Atacama ? Avec la caillasse, le sable et surtout de la navigation dans les gorges de certaines collines, lits de rivières ? Je suis perplexe sur la solidité sur 1000km ou plus.

4e point : Louis-Philippe estime que s’ils suivent trop les routes, cela devient une expédition trop « assistée »

J’estime qu’on reste dans l’ordre de l’aventure-exploration lorsqu’on est hors des sentiers battus. Je sais que c’est aussi ce qu’ils recherchent. Je vois aussi dans leurs vidéos de prépa qu’ils sont sur des pistes. Pour moi, il faut être hors-piste pour vraiment considérer traverser un désert.

S’ils sont (je n’en sais rien) à 50% du temps sur de la piste 4*4, et bien pour moi, ils sont assistés. J’admets la piste lorsqu’on n’a pas le choix. Si par exemple on est dans un canyon étroit, il n’y a pas forcément moyen de faire autrement, ou alors lorsqu’il faut longer une clôture car on ne peut pas passer sur un terrain privé ou militaire.

Je pourrais prendre le cas extrême où une personne dirait traverser l’Atacama mais en fait ,il pousserait une poussette d’enfant sur le bitume qui va vers Santiago. C’est évidemment bien différent que leur aventure mais en soi, si la personne couvre 1000km dans une région désertique proche de l’Atacama, il pourrait faire croire à la presse qu’il a traversé l’Atacama.

Tout ces jugements peuvent paraître bien dérisoires à la plupart d’entre nous mais je sais qu’aux yeux des aventuriers et des explorateurs, ils ont un réel sens. La précision et l’exactitude des faits est essentielle. C’est pourquoi, quand on annonce une première mondiale, il faut être prudent. Et tant qu’à faire, autant être prévenu avant qu’après, sinon les dégâts risquent d’être rudes.

Regardez ce qu’il s’est passé avec l’aventure de Frédéric Dion. Il a perdu cinq records mondiaux alors qu’il pensait en avoir réalisé huit au cours de sa récente expédition en Antarctique. Des erreurs faites en toute bonne foi, dit le principal intéressé. «Je n’avais pas compris qu’en recevant un ravitaillement, ça affectait le statut solo [solitaire]», dit-il. En savoir plus sur sa mésaventure.

Je pense que tous ces éléments apporteront d’avantage d’informations à Charles et Sylvain dans leur préparation et dans les choix qu’ils feront pour réaliser leur aventure. On n’hésitera pas à les suivre de près et on leur souhaite beaucoup de courage car ils en auront besoin.

Voir notre article qui présente leur expédition

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